Visions de Dante

La rencontre avec Dante

Le carnet de croquis

Lorsque Claire Nydegger arrive à Rome en 1986, c’est une jeune artiste sans projets précis, et, comme elle avait peint le lac, le paysage sous ses yeux jusque là, arrivée à Rome, elle essaie de peindre les monuments célèbres. Mais la masse de gens constamment présente l’empêche d’observer l’architecture et finalement, c’est cette foule qui devient le sujet principal de ses dessins et croquis. Elle aime alors se promener dans la ville et faire des esquisses sur le vif au crayon, à l’aquarelle ainsi qu’au lavis, médium qu’elle affectionne particulièrement. C’est vers la fin de ce séjour que Claire lit Dante pour la première fois dans une édition bilingue ; elle sent alors une telle correspondance entre son travail artistique et les vers de la Divine Comédie qu’elle en utilise certains pour commenter le fascicule résultant de son séjour et dont elle expose certaines œuvres à la galerie du Minotauro à Rome.

De retour en Suisse en 1987, Claire se plonge dans la Divine Comédie et commence à l’illustrer systématiquement. Pour ce faire, elle évite volontairement les grands artistes qui l’ont précédée dans cette tâche ardue tels que Sandro Botticelli, William Blake, Gustave Doré ou encore Salvador Dalì ; ceci non seulement dans le but de ne pas se laisser décourager mais surtout dans celui de laisser libre cours à son imagination et de ne pas lui imposer les bornes posées par ses prédécesseurs. Elle commence alors un carnet dans lequel elle illustre la plupart des chants de l’Enfer de un à trois lavis.

De même que lorsqu’elle peignait les monuments italiens cachés derrières des figures humaines, ne laissant apparaître qu’une arche ou une colonne, ses esquisses de la Divine Comédie sont centrées sur les personnes, interrogeant l’homme et sa situation dans l’univers : les silhouettes de Dante et Virgile sont omniprésentes de même que les foules de damnés, âmes en souffrances purgeant leur peine dans des tempêtes ou sous des langues de flammes. Après avoir terminé l’Enfer, Claire continue son carnet avec le Purgatoire, mais tandis que ses premières illustrations sont faites au lavis dans des tons bruns et bleus qui appellent la mélancolie et la tristesse des âmes sans espoirs, celles du Purgatoire sont de noir et d’orange pour figurer la souffrance et les flammes. En effet, le Purgatoire de Dante est encore plein de souffrances pour les âmes repentantes, et même si les gardiens y sont des anges et non des démons, et que les mélodies et prières remplacent les lamentations, le narrateur souffre plus en le traversant que dans l’Enfer : car il ne surplombe plus la masse des damnés, compatissant ou non à leur peine et sous la protection de son guide, mais est bien confronté à une douleur directe : la première provoquée par la traversée des flammes le purifiant de son péché de luxure, et la seconde par sa séparation d’avec Virgile qui ne peut résider dans le paradis terrestre (voir La Divine Comédie)

Contrairement à ses travaux antérieurs sur Rome et le lac Léman, les lavis de l’Enfer et du Purgatoire font écho à une vision interne, imaginée et que l’artiste dit elle-même avoir peut-être toujours portée en elle. Le carnet comprend des illustrations du Purgatoire jusqu’au chant XX, un arrêt qui s’explique facilement : jusque là Claire n’a pas d’atelier, aussi se limiter à de petits formats dans un carnet est un moyen de création très pratique, le carnet servant alors de mini atelier portatif. Mais lorsqu’elle s’installe véritablement dans un atelier, elle profite des nouvelles possibilités qui sont alors à sa portée, continuant à illustrer le Purgatoire au lavis mais sur des feuilles disparates de plus grand format, ainsi qu’avec d’autres médiums comme la gravures sur bois et métal ainsi que la peinture à l’huile et l’aquarelle. Elle reprend alors également certains croquis de l’Enfer qu’elle transforme en peinture ou gravure.