Avant-propos de Maurice Nadeau

Lowry n’a point écrasé le monde de son génie ; il ne s’est point imposé par le scandale et la plupart de ses admirateurs ne l’ont jamais approché. La nouvelle de sa mort, survenue le 29 juin 1957, n’a été connue que plusieurs mois plus tard, sans donner lieu à de nombreux commentaires. Il repose dans un petit cimetière du Sussex après avoir vécu dans diverses parties du monde : le Mexique, les Etats-Unis, la France, le Canada, la Sicile et l’avoir parcouru en tous sens, jusqu’en Chine. Sa vie et son œuvre auront été brèves, frappées toutes deux par la foudre qui met si tragiquement fin au destin de ses héros dans la forêt de Tlaxcala. Après des années Au-dessous du Volcan dégage pourtant la même odeur de soufre, tandis que demeure visible l’aura qui la couronne, et qu’elle continue de rayonner dans un monde qui devient un peu plus tous les jours selva obscure.

Il semble, en outre, que cette vie, comme cette œuvre, aient été en butte à tous les maléfices. Comme son consul, Lowry souffrait d’un mal qu’on préfère décorer du nom de vice : l’éthylisme. Bandant contre lui tous les ressorts de sa volonté, souffrant mille souffrances et succombant sans cesse à la tentation, il n’est point parvenu à s’en débarrasser, sauf pour de courtes périodes. Au-dessous du Volcan a été écrit au cours de l’une d’elles, pendant la guerre, et semble avoir eu pour première fin d’exorciser les fantômes. Si l’on s’en tient aux apparences, c’est le roman d’un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine. La drogue qui entretient son mal est aussi celle qui le calme : il lui est impossible de sortir de ce cercle vicieux. Après avoir écrit son chef-d’œuvre, Malcolm Lowry se laisse de nouveau emporter par le vent d’une chute étourdissante qui ne pouvait se terminer autrement que par une mort précoce. Il a sciemment travaillé son suicide.

Au-dessous du Volcan, aussi, est marqué par le mauvais sort. Il en rédige la première version aux Etats-Unis où elle est refusée par les éditeurs. Il le récrit au Canada et perd le manuscrit dans un bar, au Mexique. La troisième version périt dans l’incendie de sa maison. La quatrième, publiée aux Etats-Unis, à la fin de la Guerre [1947], connaît un succès considérable, mais sans lendemain ; Malcolm Lowry est aujourd’hui aussi ignoré en Amérique qu’il l’est dans son pays natal, l’Angleterre. La version française, publiée en 1950 par le Club Français du Livre et, pour l’édition ordinaire, par Corrêa, comporte également une longue histoire aux péripéties décourageantes dont Clarisse Francillon a fait le récit. L’ouvrage paraît enfin et est unanimement salué par les critiques qui le jugent comme « le plus important qui ait paru depuis vingt ans« .
(Avant-propos de Maurice Nadeau à l’édition parue chez Buchet-Chastel en 1980)

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