Les albums d’Henriette Grindat à la Guilde du Livre

Les albums d’Henriette Grindat à la Guilde du Livre

Dans le cadre d’une exposition sur le livre de photographie à Lausanne, il est légitime d’offrir une place particulière à Henriette Grindat : figure emblématique de l’édition photographique suisse d’après-guerre, elle a participé à la réalisation de dix-huit ouvrages, dont quatre aux Editions Rencontre (☞ Les Editions Rencontre) et quatre à la Guilde du Livre, à savoir Lausanne (1952), Algérie (1956), Méditerranée (1957) et Le Nil (1960). Aux côtés d’Izis et Ylla, elle fait partie des rares photographes ayant collaboré à plus de trois reprises avec la Guilde. De plus, son nom apparaît en général sur la couverture des livres, parfois même avant celui de l’écrivain, valorisant ainsi son travail et soulignant son statut d’auteur à l’égal des producteurs des textes.

Entre surréalisme et voyage

Née à Bienne en 1923, Henriette Grindat s’établit ensuite à Lausanne. Atteinte de poliomyélite, elle est orientée par ses parents vers un métier estimé peu physique : ils pensent à la photographie et inscrivent leur fille dans une école spécialisée, imaginant que par la suite, elle ouvrira un magasin. Henriette Grindat entreprend sa formation en 1943 à Lausanne sous la direction de Gertrude Fehr et la termine en 1946 à Vevey. Fehr exerce une grande influence sur la jeune photographe. Avant d’ouvrir l’école privée qui formera, entre autres, Bruno Barbey, Jean-Loup Sieff ou Luc Chessex (☞ Luc Chessex), elle s’est installée à Paris en 1933. Elle y a côtoyé des photographes proches du surréalisme comme Man Ray, et pratique tout comme eux le photogramme, le photomontage, la surimpression, techniques que Grindat va elle aussi expérimenter à ses débuts.

En 1948, Grindat part à son tour s’installer à Paris. Elle y fait la connaissance d’André Breton, Michel Butor ou encore Alain Resnais. Elle se passionnera dès lors non seulement pour les arts, mais aussi pour la littérature et la poésie, et cela sa vie durant. L’événement majeur de sa période parisienne est une exposition à la galerie La Hune en janvier 1949. Elle y présente des œuvres qui ne sont pas sans rappeler le surréalisme. Bien accueillie par la critique, l’exposition marque le véritable début de sa carrière. Six mois plus tard, le magazine lucernois Camera publie un portfolio composé uniquement de ses photographies.

  • 1. Christophe Flubacher, « Henriette Grindat ou la postérité du soleil », L’Hebdo, n° 50, 14 décembre 1995, p. 85. Voir aussi Charles-Henri Favrod, « Les albums photographiques de la Guilde du Livre », in Henriette Grindat : Méditerranées, cat. expo., Lausanne, Musée historique de Lausanne, 2009, p. 14, qui fait référence à l’ouvrage A la rêveuse matière qu’elle réalise avec Francis Ponge et Albert Yersin en 1963.

A partir des années cinquante, la galerie et le livre vont devenir les terrains de prédilection de Grindat. La presse commence à s’intéresser à la jeune photographe en publiant divers comptes rendus de ses expositions et des ouvrages pour lesquels elle fournit des photographies. Au fil des ans, Grindat s’empare elle aussi de la plume pour rédiger des reportages sur les milieux artistiques romands ou des chroniques de voyages. Car Henriette Grindat va partir à la découverte de nombreux pays. En 1952, elle obtient une bourse fédérale et commence alors à voyager. D’abord en Algérie, en compagnie de Lélo Fiaux, puis à Venise, en Espagne ; en 1957, elle découvre le Proche-Orient ; en 1958, elle part en Afrique, remonte le Nil, passe par le Kenya, l’Ethiopie et la Somalie. Ces multiples excursions sont pour elle autant de nouvelles sources d’inspiration : l’aspect documentaire de ses clichés s’efface peu à peu pour laisser apparaître un certain lyrisme. Les personnages se font rares, parfois seulement signalés par une ombre ou une vague silhouette au loin. Celle que d’aucuns surnommeront « la rêveuse de matière »1 explore les matériaux et les reflets. Elle cherche à faire ressortir les différentes textures, autrement dit la tangibilité de ses sujets, tout autant que les atmosphères mystérieuses.


La collaboration avec la Guilde

  • 2. Sur ce différend, voir Charles-Henri Favrod, op. cit., p. 14, et Sylvie Henguely, « Méditerranée », in Peter Pfrunder (dir.), Schweizer Fotobücher 1927 bis heute : eine andere Geschichte der Fotografie / Livres de photographie suisse de 1927 à nos jours : Une autre histoire de la photographie, Winterthur, Fotostiftung Schweiz/Baden, Lars Müller Publishers, 2011, p. 602.

Durant cette époque faste des beaux-livres illustrés, richement imprimés en héliogravure (☞ Imprimeries lausannoises), Henriette Grindat se spécialise dans le reportage de voyage : elle ne photographie plus, en studio, des objets hétéroclites issus de brocantes, mis en scène dans des clairs-obscurs mystérieux, mais se tourne vers l’extérieur, poursuivant son travail poétique en plein air, dans la contemplation de la nature. Elle commence à travailler pour la Guilde du Livre en 1952, pour l’ouvrage Lausanne (☞ Lausanne), avant deux autres collaborations avec l’éditeur, suivies de l’album Adriatique (1959) aux Editions Mermod. Cette collaboration avec Françoise Mermod résulte sans doute des différends nés entre la photographe et Albert Mermoud, patron de la Guilde. Pour Méditerranée (☞ Méditerranée), celui-ci a en effet estimé les clichés de Grindat insuffisants et fait appel à d’autres photographes pour les compléter. Henriette Grindat n’a pas apprécié. Elle s’est également plainte d’honoraires jugés insignifiants en regard du coût onéreux de son voyage2. Malgré cette querelle, une quatrième collaboration verra le jour en 1960 pour Le Nil (☞ Le Nil).

  • 3. Voir Sylvie Henguely, « “…un objectif en flagrant délit de poésie” : Henriette Grindat, photographe des années 1950 », in Henriette Grindat : Méditerranées, op. cit., p. 7.

C’est qu’Albert Mermoud apprécie le travail d’Henriette Grindat et sait lui faire confiance. Dans tous les projets qu’elle réalise avec lui, la production des photographies précède celle des textes, ce qui laisse Grindat libre de photographier les sujets qui lui plaisent, à l’exception de Lausanne où là, la municipalité impose certains thèmes, tels que la Fête du bois ou le Comptoir. Le choix final des photographies reste néanmoins la prérogative de l’éditeur, ce qui n’est pas le cas pour ses propres expositions, où elle privilégie les clichés les plus subjectifs3.

A la fin des années cinquante, Grindat se concentre de plus en plus sur le photojournalisme. Si elle publie régulièrement dans la presse, elle travaille également pour l’Atlas des Voyages des Editions Rencontre (☞ L’Atlas des Voyages). Elle y participe à l’élaboration de quatre ouvrages : Andalousie (1962), Egypte (1964), Autriche (1966 – ici, le texte de Philippe Jaccottet est déjà écrit quand elle réalise son reportage) et Tchécoslovaquie (1968). Photographe rêveuse et vagabonde, Henriette Grindat a ainsi fourni à de nombreux livres illustrés lausannois des images à la dimension souvent intemporelle et énigmatique, et toujours poétique.

— Deborah Strebel

Notes

  • 1. Christophe Flubacher, « Henriette Grindat ou la postérité du soleil », L’Hebdo, n° 50, 14 décembre 1995, p. 85. Voir aussi Charles-Henri Favrod, « Les albums photographiques de la Guilde du Livre », in Henriette Grindat : Méditerranées, cat. expo., Lausanne, Musée historique de Lausanne, 2009, p. 14, qui fait référence à l’ouvrage A la rêveuse matière qu’elle réalise avec Francis Ponge et Albert Yersin en 1963.
  • 2. Sur ce différend, voir Charles-Henri Favrod, op. cit., p. 14, et Sylvie Henguely, « Méditerranée », in Peter Pfrunder (dir.), Schweizer Fotobücher 1927 bis heute : eine andere Geschichte der Fotografie / Livres de photographie suisse de 1927 à nos jours : Une autre histoire de la photographie, Winterthur, Fotostiftung Schweiz/Baden, Lars Müller Publishers, 2011, p. 602.
  • 3. Voir Sylvie Henguely, « “…un objectif en flagrant délit de poésie” : Henriette Grindat, photographe des années 1950 », in Henriette Grindat : Méditerranées, op. cit., p. 7.

Bibliographie

  • Archives
  • Dossiers « Lausanne » (IS 4359, carton F 178), « Algérie » (IS 4359, carton 24 F 258), « Méditerranée », 1957 (IS 4359, carton 26 F 289), « Le Nil » (IS 4359, carton 30 F 356), Fonds de la Guilde du Livre, BCUL, Département des manuscrits.
  • Archives RTS
  • Madame TV, émission télévisée, mars 1966, journaliste Yette Perrin, réalisation Christian Mottier. En ligne, consulté le 1er mai 2013.
  • Portraits d’artistes, émission radiophonique, octobre 1983, interview d’Henriette Grindat par Alphonse Layaz. En ligne, consulté le 1er mai 2013.
  • Sources (livres)
  • Lausanne, photos d’Henriette Grindat, Lausanne, La Guilde du Livre, 1952.
  • Métal pour musique, photos d’Henriette Grindat, Rolle, Editions du Verbe, 1952.
  • Dictionnaire pittoresque de la France, photos d’Henriette Grindat, Paris, Editions Arthaud, 1955.
  • Le Livre des arbres, photo Henriette Grindat, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1956.
  • AMROUCHE, Jean, Algérie, photo Henriette Grindat, Lausanne, La Guilde du Livre, 1956.
  • CRANAKI, Mimica, Méditerranée, photo Henriette Grindat, Lausanne, La Guilde du Livre, 1957.
  • CHESSEX, Jacques, Adriatique, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Françoise Mermod, 1959.
  • FAVROD, Charles-Henri, Le Nil, photo Henriette Grindat, Lausanne, La Guilde du Livre, 1960.
  • LE RICOLAIS, Robert, Matière, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Chabloz, 1960.
  • VIO, Martin, Flâneries autour de Lausanne, photo Henriette Grindat, Neuchâtel, Editions du Griffon, 1960.
  • CLAVIEN, Germain, Andalousie, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Rencontre, coll. L’Atlas des Voyages, 1962.
  • PONGE, Francis, A la rêveuse matière, photo Henriette Grindat, gravures d’Albert Yersin, Lausanne, Editions du Verseau, 1963.
  • MORINEAU, Raymond, Egypte, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Rencontre, coll. L’Atlas des Voyages, 1964.
  • CAMUS, Albert et CHAR, René, La Postérité du Soleil, photo Henriette Grindat, Genève, Edwin Engelberts, 1965.
  • DESCARGUES, Pierre, Rembrandt et Saskia à Amsterdam, photo Henriette Grindat, Lausanne, Payot, 1965.
  • JACCOTTET, Philippe, Autriche, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Rencontre, coll. L’Atlas des Voyages, 1966.
  • BAUCHAU, Henry, La Dogana, photo Henriette Grindat, Albeuve, Editions Paul Castella, 1967.
  • GRANDMONT, Dominique, Tchécoslovaquie, photo Henriette Grindat, Lausanne, Editions Rencontre, coll. L’Atlas des Voyages, 1968.
  • BORNE, Alain, Le Facteur Cheval, photo Henriette Grindat, Paris, Morel, 1969.
  • CHAPPUIS, Pierre, Ligne mouvante, photo Henriette Grindat, Lutry, Editions d’Orzens, 1983.
  • Sources (articles)
  • Z'GRAGGEN, Yvette, « Connaissons mieux les artistes romandes : Henriette Grindat », Journal de Genève, 15 mai 1957, p. 8.
  • KUENZI, André, « Quand une photographe chasse le Nilotique », Gazette de Lausanne, 23 mai 1959, p. 9.
  • MAD., C., « Henriette Gindat, photographe, revient des sources du Nil », Feuille d’Avis de Lausanne, 23 mai 1959, p. 21.
  • RICHOZ, Claude, « L’instantané et le durable », Coopération, n°37, 12 septembre 1959.
  • CHAR, René, « La Postérité du Soleil », Gazette de Lausanne, 4 décembre 1965, p. 19.
  • CHEVALLAZ, Madeline, « D’abord Grindat, ensuite Henriette », Fémina, n° 7, 1972, p. 64-67.
  • Littérature secondaire
  • 24 photographes suisses au quotidien, Nyon, Editions Focale, 1989.
  • DESACHY, Eric, MANDERY, Guy et DESACHY, Anatole, La Guilde du livre : les albums photographiques, 1941-1977, Paris, Les Yeux Ouverts, 2012.
  • DEBRAINE, Luc, « Henriette Grindat, le soleil pour la postérité », Le Temps, 25 mars 2010.
  • Henriette Grindat : Méditerranées, texte Sylvie Henguely et Charles-Henri Favrod, Zurich, Limmat Verlag, 2008.
  • Henriette Grindat : Méditerranées, texte Sylvie Henguely et Charles-Henri Favrod, cat. expo., Lausanne, Musée historique de Lausanne, 2009.
  • Henriette Grindat, photographe, cat. expo., Lausanne, Bibliothèque cantonale et universitaire, 1972.
  • Henriette Grindat : rêve et découverte, cat. expo. Musée de l'Elysée, Lausanne/ Schweizerische Stiftung für die Photographie, Zurich, Berne, Benteli Verlag, 1995.
  • FAVROD, Charles-Henri, « Une écriture de lumière », Le Matin, 21 août 1984, p. 12.
  • FLUBACHER, Christophe « Henriette Grindat ou la postérité du soleil », L’Hebdo, n°50, 14 décembre 1995, p. 85-86.
  • LOETSCHER, Hugo, et al. (dir.), Photographie en Suisse de 1840 à aujourd’hui, Teufen, Editions Niggli, 1974.
  • MERMOUD, Albert, La Guilde du livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jacques-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987.
  • PFRUNDER, Peter (dir.), Schweizer Fotobücher 1927 bis heute : eine andere Geschichte der Fotografie / Livres de photographie suisse de 1927 à nos jours : Une autre histoire de la photographie, Winterthur, Fotostiftung Schweiz/Baden, Lars Müller Publishers, 2011.
  • VALLOTTON, François, Les Editions Rencontre 1950-1971, Lausanne, Editions d’en bas, 2004.