Les albums sur Paris

Les albums photographiques sur Paris

Entre 1949 et 1951, la Guilde du Livre publie trois albums photographiques sur Paris : La Banlieue de Paris (1949) de Blaise Cendrars et Robert Doisneau (☞ La Banlieue de Paris), Paris des Rêves (1950) et Grand Bal du Printemps (1951) d’Izis (☞ Paris des Rêves et ☞ Grand Bal du Printemps). C’est avec eux – principalement Paris des Rêves – qu’elle connaît ses premiers grands succès dans le domaine de la photographie.

Paris en photographie

  • 1. Christian Bouqueret, Paris, les livres de photographie des années 1920 aux années 1950, Paris, Gründ, 2012, p. 9.
  • 2. Ibid., p. 30 et 35.
  • 3. Ibid., p. 10.

Avec ses recueils parisiens, la Guilde s’inscrit dans une tradition remontant à l’entre-deux-guerres. De multiples volumes de photographies sont en effet publiés sur la capitale, qui attire alors de nombreux photographes, français et étrangers, en quête de liberté. L’essor de l’héliogravure et de l’offset favorise également la publication de ces premiers albums1. Paris (1928) de Mario von Bucovich et Germanine Krull dans la collection Das Gesicht der Städte ou 100 x Paris (1929) de la seule Krull remportent un succès assez confidentiel, mais offrent un premier exemple de livres touristiques célébrant l’image d’un Paris pittoresque2. Les éditeurs prennent soin alors d’adjoindre à la photographie des textes de « personnalités vendeuses du monde littéraire ou de la critique »3 afin d’en assurer le succès. En 1932, Brassaï publie Paris de Nuit, préfacé par Paul Morand ; en 1934 Paris vu par André Kertész est introduit par un texte de Pierre Mac Orlan ; en réponse au Paris de Nuit de Brassaï, Paris de Jour de Roger Schall sort en 1937, préfacé par Jean Cocteau ; en 1938, c’est le texte de Francis Carco, Envoûtement de Paris, qui est illustré par les images de René-Jacques.
Le genre connaît un regain d’intérêt à la fin de la Seconde Guerre mondiale et donne lieu à de nouvelles publications plus populaires, comme Paris relief (1945) de Roger Schall, L’Ile Saint-Louis et ses fantômes (1946) de Rémy Duval, Paris (1947) de Fritz Henle, Amour de Paris (1949) de Jean Léon, etc. Les trois albums de la Guilde sont publiés à ce moment-là.

  • 4. Au début des années 1930, une photographie dite « humaniste » – car centrée sur l’homme – se développe en France, et plus particulièrement à Paris. (...)

Des lieux de prédilection – la rue, les bistrots, les bals populaires, les fêtes foraines – et des thèmes récurrents traversent les ouvrages de ces photographes que l’on qualifiera bientôt d’« humanistes »4 : les enfants, les amoureux, les vagabonds, les pêcheurs, etc. Ces motifs seront très présents dans les albums guildiens d’Izis et Doisneau, qui comptent parmi les grands représentants de cette mouvance « humaniste ».

Si l’idée de la Guilde n’est donc pas nouvelle, le succès phénoménal remporté par Paris des Rêves en 1950 est lui totalement inédit. Hasard ou non, l’année suivante, le Museum of Modern Art de New York consacre le mouvement à travers l’exposition Five French Photographers, parmi lesquels figurent… Izis et Doisneau ! Le Bulletin de la Guilde s’empresse de relayer fièrement l’événement (☞ Livres pour tous et photographie).

Le texte et l’image

  • 5. Marie de Thézy et Claude Nori, La Photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992, p. 38.

Les albums de la Guilde ont en outre la particularité d’être conçus autour des photographies et non autour du texte, comme cela se faisait dans les années 1930 : désormais, les photographes « constituent d’abord un recueil d’images sur un thème donné, puis ils demandent un texte à un écrivain »5. Ce renversement donne à Albert Mermoud l’occasion d’explorer la relation texte-image de manière différente pour chaque album.

Dans La Banlieue de Paris, il utilise la partition classique des premiers albums photographiques : le texte de Cendrars (fig. 1) introduit les clichés de Doisneau (fig. 2).

La Banlieue de Paris, photo Robert Doisneau, texte Blaise Cendrars, Lausanne, La Guilde du Livre, 1949, p. 4-5.

Fig. 1, La Banlieue de Paris, p. 4-5.

La Banlieue de Paris, photo Robert Doisneau, texte Blaise Cendrars, Lausanne, La Guilde du Livre, 1949, p. 48-49.

Fig. 2, La Banlieue de Paris, p. 48-49.

Avec Paris des Rêves, Izis impose une mise en page originale (fig. 3 et 4) : l’image occupe la page de droite tandis que la page de gauche accueille les textes autographes d’écrivains rédigés pour l’occasion.

Paris des Rêves, photo Izis, texte André Frénaud, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 150-151.

Fig. 3, Paris des rêves, p. 150-151.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Jean Rousselot, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 24-25.

Fig. 4, Paris des Rêves, p. 24-25.

Enfin, pour Grand Bal du Printemps, Prévert compose un poème sur les photographies d’Izis : texte et images se suivent, se chevauchent, s’isolent, dans une mise en page beaucoup plus libre (fig. 5, 6, 7 et 8).

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 10-11.

Fig. 5, Grand Bal du Printemps, p. 10-11.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 30-31.

Fig. 6, Grand Bal du Printemps, p. 30-31.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 44-45.

Fig. 7, Grand Bal du Printemps, p. 44-45.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 76-77.

Fig. 8, Grand Bal du Printemps, p. 76-77.

Les albums parisiens de la Guilde donnent ainsi trois exemples du travail de mise en page du texte et de la photographie, fruit d’une collaboration étroite entre le photographe, l’écrivain, l’éditeur et le maquettiste.

— Christelle Michel

Notes

  • 1. Christian Bouqueret, Paris, les livres de photographie des années 1920 aux années 1950, Paris, Gründ, 2012, p. 9.
  • 2. Ibid., p. 30 et 35.
  • 3. Ibid., p. 10.
  • 4. Au début des années 1930, une photographie dite « humaniste » – car centrée sur l’homme – se développe en France, et plus particulièrement à Paris. L’essor de cette photographie est indissociable du contexte d’après-guerre dans lequel elle naît, période marquée par la violence du conflit encore présente dans les mémoires, et une situation économique critique (Laure Beaumont-Maillet, « Cette photographie qu’on appelle humaniste », in Laure Beaumont-Maillet et al., La Photographie humaniste, 1945-1968 : autour d’Izis, Boubat, Brassaï, Doisneau, Ronis, …, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2006, p. 12). Certains photographes ressentent alors le besoin de célébrer une image positive de l’humanité, plus légère et chaleureuse : « [La photographie humaniste] célèbre le travail, chante le bonheur simple de trancher le pain ou de se mêler aux bals populaires, montre le charme du passé sans nier pour autant les avancées de la modernité, mais elle témoigne aussi de la pauvreté et des luttes sociales. Il en émane parfois une impression de tristesse, mais le plus souvent un sentiment de bonne humeur collective, de générosité, qui contribue sans nul doute à la popularité des ses auteurs. » (Ibid., p. 13). Paris devient le terrain privilégié de ces photographes, qui y trouvent l’essence d’une image pittoresque de la France, au gré de leurs déambulations. Parmi eux, des photographes français (Robert Doisneau, Edouard Boubat, Willy Ronis,…), mais également de nombreux exilés de l’Europe de l’Est (Brassaï, André Kertész, Izis,…), pour qui la capitale française incarne un rêve de liberté.
  • 5. Marie de Thézy et Claude Nori, La Photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992, p. 38.

Bibliographie

  • Littérature secondaire
  • BEAUMONT-MAILLET Laure, « Cette photographie qu’on appelle humaniste », in Laure Beaumont-Maillet et al., La Photographie humaniste, 1945-1968 : autour d’Izis, Boubat, Brassaï, Doisneau, Ronis, …, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2006.
  • BIDERMANAS Manuel et CANITROT Armelle, Izis Bidermanas, Paris des Rêves, cat. expo. Hôtel de Ville de Paris (20 janvier-29 mai 2010), Paris, Flammarion 2009.
  • BOUQUERET Christian, Paris, les livres de photographie des années 1920 aux années 1950, Paris, Gründ, 2012.
  • DESACHY Eric, MANDERY Guy et DESACHY Anatole, La Guilde du Livre : les albums photographiques, 1941-1977, Paris, Les Yeux Ouverts, 2012.
  • KOETZLE, Hans-Michael (éd.), Eyes on Paris : Paris im Fotobuch 1890-2010, cat. expo. Haus der Photographie/Deichtorhallen Hambourg, Munich, Hirmer Verlag, 2011.
  • THEZY Marie de et NORI Claude, La Photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992.

La photographie humaniste