Paris des Rêves

Izis, Paris des Rêves, 1950

  • 1. « Catalogue des ouvrages disponibles », Bulletin mensuel de la Guilde du Livre, vol. 17, n° 12, décembre 1952, p. 333, et « La vie littéraire », Bulletin de la Guilde du Livre, vol. 16, n° 6, juin 1951, p. 144. La seconde formule est attribuée à « un critique », non spécifié.
  • 2. Jacques-Michel Pittier, « La Guilde du Livre », in Silvio Corsini (dir.), Le Livre à Lausanne, cinq siècles d’édition et d’imprimerie, 1493-1993, Lausanne, Payot, 1993, p. 134.
  • 3. Idem.
  • 4. Selon le catalogage établi dans : Eric Desachy, Guy Mandery et Anatole Desachy, La Guilde du Livre : les albums photographiques, 1941-1977, Paris, Les Yeux Ouverts, 2012.

Paris des Rêves est sans conteste le grand succès de la Guilde du Livre, le « fleuron de la production guildienne », le « maître-livre de la Guilde », comme le claironnera le Bulletin1. Tiré initialement à 10'300 exemplaires, soit 6'000 de plus que La Banlieue de Paris, il sera réimprimé à 120'000 exemplaires en tout2, un événement unique dans l’histoire de la Guilde. L’année de sa parution, il remporte en outre le prix du Plus Beau Livre 19503. Cette réussite montre qu’au début des années cinquante, un éditeur lausannois comme Albert Mermoud pouvait rivaliser avec les grandes maisons parisiennes dans le domaine des albums photographiques. Après ce succès, la publication d’albums photographiques s’intensifiera considérablement à la Guilde : si entre 1941 et 1950, elle en a sorti sept seulement, quatre paraitront en 1951, cinq en 1952, trois en 1953, puis huit par année entre 1954 et 19564.

  • 5. Israëlis Bidermanas, dit Izis (1911-1980) voit le jour à Marijampole en Lituanie (à cette époque encore sous l’Empire Russe) où il devient apprenti photographe en 1924. (...)

Paris des Rêves marque également le début de la collaboration entre Albert Mermoud, le fondateur de la Guilde, et le photographe lituanien Izis5, qui se soldera par la publication de quatre autres albums : Grand Bal du Printemps en 1951 et Charmes de Londres en 1952 avec Jacques Prévert, Paradis Terrestre en 1953 avec Colette, et Israël en 1955 avec André Malraux.

Promotion

L’ouvrage est mentionné une première fois très discrètement dans le Bulletin d’octobre 1950 : la reproduction d’une photographie du livre accompagne un texte sur l’édition française, avec pour simple légende : « photo Izis, tirée de Paris des Rêves, à paraître prochainement à la Guilde ». La livraison de décembre lui offre sa couverture et ses trois premières pages, mais ce sont surtout les numéros des mois suivant sa parution qui donnent le meilleur témoignage de la position prééminente que lui accorde la Guilde : entre janvier et juin 1951, tous les Bulletins comportent des reproductions du livre sur une page ou plus, parfois en couverture.

La rencontre d’un photographe et d’un éditeur

  • 6. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit., p. 13.
  • 7. Idem.
  • 8. Ibid., p. 19.

Comme l’histoire de la création de la Guilde, l’histoire de Paris des Rêves est celle d’un pari réussi, ayant comme point de départ la rencontre d’Albert Mermoud et du photographe Izis. En 1946, ce dernier est de retour à Paris après un exil forcé à Limoges en raison de la guerre. La même année, la galerie parisienne La Boétie lui consacre deux expositions: Paris vu par Izis Bidermanas et Portraits. Il y présente ses vues de Paris accompagnées de poèmes autographes composés pour l’occasion par des écrivains tels que Paul Eluard, Elsa Triolet, Francis Carco ou Jean Paulhan ; en échange de leur texte, le photographe leur offre leur portrait6. Une fois l’exposition terminée, Izis se met en quête d’un éditeur qui accepterait de faire un livre de ses « photo-poèmes »7. En 1950, après quatre ans de recherches infructueuses, c’est Albert Mermoud, rencontré à Paris, qui finit par se laisser convaincre8. L’exposition sert donc de prélude à la publication.

Mermoud avait déjà eu l’occasion d’explorer le lien texte-image, dans un rapport plutôt classique introduction/planches, avec La Banlieue de Paris en 1949. Un an plus tard, Paris des Rêves, tel qu’Izis l’a conçu, devient pour l’éditeur le modèle absolu :

  • 9. Albert Mermoud, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987, p. 136-137.

Les albums-photos représentent pour moi une grande aventure à la fois éditoriale et personnelle. Je l’ai vécue d’abord à travers quelques essais un peu médiocres (…) mais le premier album, celui dont devait s’inspirer tous les autres est Paris des Rêves. (…) on peut dire qu’il a ouvert la voie dans un domaine alors inexploré : celui de la relation étroite entre le texte et l’image photographique. Cette formule contrariait souvent les idées des photographes qui prétendaient que l’Image se suffit à elle-même, qu’il est inutile d’y ajouter quoi que ce soit.9

Mermoud souhaite combattre cette idée en montrant comment image et texte peuvent se compléter, se mettre mutuellement en valeur. Il prend pour exemple la photographie de couverture de l’album – la fontaine de la Concorde de nuit –, accompagnée dans le livre d’une note de Dominique Aury, « Il est minuit, Paris met ses bijoux » :

  • 10. Ibid., p. 139.

J’y lis plus qu’un commentaire à l’image mais une part essentielle de son ambiance et de sa complicité. Ce document me parle comme une photo d’apparat, et l’idée de bijoux joue dans les reflets de la fontaine. Je tenais beaucoup à cette complémentarité, à cette symbiose.10

En 1952, la maquette est reprise telle quelle pour l’album Lausanne d’Henriette Grindat (☞ Lausanne), où les planches côtoient à nouveau des textes autographes d’écrivains et de poètes.

Maquette

Le format de Paris des Rêves (22 x 28 cm) constitue une nouveauté au sein du catalogue guildien. Des précédents albums publiés, seul un, Angkor (1948), est plus grand (24 x 30 cm). Les autres (Chartres, 1941 ; Milieu du monde, 1943 ; La Banlieue de Paris, 1949 ; La Seine, 1950) ont une taille relativement modeste (18 x 24 cm) pour des ouvrages de photographies. Le format 22 x 28 cm fait son apparition en juillet 1950, soit six mois avant la parution de Paris des Rêves, avec l’album Noir d’Ivoire de la première campagne des Livres d’été (☞ Les livres pour tous et photographie). Il devient dès lors le format standard de la plupart des albums de la Guilde.

  • 11. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit., p. 18.

La mise en page de Paris des Rêves est réalisée par Izis11, qui partage avec Mermoud le souci d’un équilibre harmonieux entre les mots et les images :

  • 12. Idem.

Un livre doit être comme une chanson. C’est le rythme d’une promenade. Je voudrais que le lecteur puisse continuer sa lecture sans être coupé, d’une page à l’autre (…) je mets toujours des photos en pleine page ou double page mais jamais deux photos l’une à côté de l’autre, parce que cela gêne, cela empêche de rentrer dans la photo.12

Le livre contient soixante-quinze clichés placés en belle page (fig. 1), sauf à six reprises où la photographie empiète légèrement sur la page de gauche (fig. 2).

Paris des Rêves, photo Izis, texte Claude Roy, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 136-137.

Fig. 1, Paris des Rêves, p. 136-137.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Jean Rousselot, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 24-25.

Fig. 2, Paris des Rêves, p. 24-25.

Pour les textes, qui occupent cette page de gauche, Izis a également une idée bien précise de ce qu’il souhaite :

  • 13. Ibid., p. 19.

Chacun [des auteurs] a choisi les photos qui l’inspirait. Les textes que j’aime le mieux, ce sont ceux qui ne décrivent pas la photo, qui en sont différents parce qu'alors se crée une autre correspondance imaginaire entre le texte et l’image. Je voudrais que le lecteur soit toujours touché par ces correspondances. Je voudrais le faire rêver. Fixer l’imaginaire.13

  • 14. Idem.

Texte et image se retrouvent ainsi intimement liés, le premier proposant une réflexion tour à tour poétique, méditative, contemplative, non seulement sur tel ou tel motif, mais sur la photographie spécifique placée en regard (fig. 3 et 4). Le choix de reproduire les textes autographes, comme lors de l’exposition de 1946, est également une idée d’Izis: « Cela se marie mieux avec la photo. L’autographe a son intérêt par sa diversité, par la personne qui est derrière »14. Les textes manuscrits donnent en effet une touche personnelle à l’ouvrage, tout comme ils confèrent un surcroît d’aura aux poèmes reproduits. L’impression en héliogravure sur un papier épais et légèrement granuleux, ainsi que l’aspect parfois flou de certains clichés – qu’il s’agisse de l’arrière-fond ou de toute la surface de la photographie –, plonge le lecteur dans un univers vaporeux qui souligne encore la dimension onirique annoncée par le titre (fig. 5 et 6).

Paris des Rêves, photo Izis, texte Jean Tardieu, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 70-71.

Fig. 3, Paris des Rêves, p. 70-71.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Gilbert Cesbron, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 156-157.

Fig. 4, Paris des Rêves, p. 156-157.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Henry Miller, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 46-47.

Fig. 5, Paris des Rêves, p. 46-47.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Maurice Fombeure, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 78-79.

Fig. 6, Paris des Rêves, p. 78-79.

Séquence des images

Le livre s’ouvre sur un poème en forme d’invitation au jeu, signé Jean Cocteau (fig. 7 et 8) :

Vous ne connaissez pas Paris – Paris est inconnu comme les poètes célèbres. Certains étrangers le traduisent et nous le découvrent. (…) Des villes et des villages s’y cachent, cherchez-les.

Paris des Rêves, texte Jean Cocteau, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 6-7 .

Fig. 7, Paris des Rêves, p. 6-7.

Paris des Rêves, photo Izis, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 8-9.

Fig. 8, Paris des Rêves, p. 8-9.

Quelques clichés des monuments parisiens occupent les premières pages, symboles du Paris de culture et d’histoire (fig. 9 et 10). Le lecteur est ensuite entrainé dans les rues de ces « villages », avec leurs maisons, leurs fenêtres (fig. 11), leurs bancs publics (fig. 12) ou leurs animaux.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Blaise Cendrars, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 14-15.

Fig. 9, Paris des Rêves, p. 14-15.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Jean-Richard Bloch, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 16-17.

Fig. 10, Paris des Rêves, p. 16-17.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Lise Deharme, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 30-31.

Fig. 11, Paris des Rêves, p. 30-31.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Tristan Rémy, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 56-57.

Fig. 12, Paris des Rêves, p. 56-57.

La balade se poursuit sur les quais de Seine dans l’univers des pêcheurs (fig. 13), des péniches (fig. 14) et des ponts. Les images désormais classiques des amoureux (fig. 15) et du Paris de nuit (fig. 16) précèdent ensuite quelques clichés de la ville souterraine, du métro, puis du Paris enneigé. Enfin, le livre se clôt, comme il avait commencé, sur des photographies d’enfants dans les rues (fig. 17), enfants dont le regard étonné et bienveillant pourrait avoir fonction de modèle pour le photographe et le lecteur tout autant.

  • 15. Ibid., p. 9.

Au-delà des monuments du début, c’est surtout le Paris de la rue que l’album dépeint. Un Paris populaire où les gens se rencontrent sur les bancs ou les quais de la Seine, mais où la pauvreté et la solitude sont aussi très présentes. Le rêve côtoie une réalité brute, l’autre visage de la ville auquel Izis lui-même a été confronté lors de son arrivée dans la capitale en 193015.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Maurice Fombeure, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 84-85.

Fig. 13, Paris des Rêves, p. 84-85.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Louis Pauwels, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 96-97.

Fig. 14, Paris des Rêves, p. 96-97.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Dominique Aury, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 116-117.

Fig. 15, Paris des Rêves, p. 116-117.

Paris des Rêves, photo Izis, texte Pierre Mornand, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 126-127.

Fig. 16, Paris des Rêves, p. 126-127.

Paris des Rêves, photo Izis, texte André Breton, Lausanne, La Guilde du Livre, 1950, p. 154-155.

Fig. 17, Paris des Rêves, p. 154-155.

— Christelle Michel

Notes

  • 1. « Catalogue des ouvrages disponibles », Bulletin mensuel de la Guilde du Livre, vol. 17, n° 12, décembre 1952, p. 333, et « La vie littéraire », Bulletin de la Guilde du Livre, vol. 16, n° 6, juin 1951, p. 144. La seconde formule est attribuée à « un critique », non spécifié.
  • 2. Jacques-Michel Pittier, « La Guilde du Livre », in Silvio Corsini (dir.), Le Livre à Lausanne, cinq siècles d’édition et d’imprimerie, 1493-1993, Lausanne, Payot, 1993, p. 134.
  • 3. Ibid., p. 134.
  • 4. Selon le catalogage établi dans : Eric Desachy, Guy Mandery et Anatole Desachy, La Guilde du Livre : les albums photographiques, 1941-1977, Paris, Les Yeux Ouverts, 2012.
  • 5. Israëlis Bidermanas, dit Izis (1911-1980) voit le jour à Marijampole en Lituanie (à cette époque encore sous l’Empire Russe) où il devient apprenti photographe en 1924. En janvier 1930, il s’exile à Paris, comme de nombreux photographes de l’Est, à l’image de Brassaï ou Kertész. Il connaît la misère pendant trois ans avant de décrocher un emploi dans un studio de portraits, puis d’obtenir la gérance d’un magasin de photographie. En 1941, pour fuir les persécutions nazies, Izis part s’installer dans le Limousin avec sa femme et leur fils. Il y côtoie nombre de résistants dont il réalisera les portraits pour sa première exposition, Les Maquisards, présentée en 1944 à Limoges. A la fin de la Guerre, il retourne à Paris et se lie avec de nombreux artistes (Breton, Aragon, Prévert, Brassaï, …). Il se remarie en 1946 et ouvre en 1948 son propre studio de photographie. En 1949, lorsque Paris Match sort son premier numéro, Izis est de la partie. Il occupera pendant 20 ans le statut de grand reporter au sein du prestigieux illustré. Il se démarquera par son refus de tout sensationnalisme, préférant photographier « ce qui se passe autour de l’événement » (Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, Izis Bidermanas, Paris des Rêves, cat. expo. Izis, Paris des Rêves, Hôtel de Ville de Paris [20 janvier-29 mai 2010], Paris, Flammarion, 2009, p. 30) que l’événement lui-même. Il réalisera de nombreux portraits de personnalités artistiques, littéraires et politiques. Izis décède le 16 mai 1980 à Paris.
  • 6. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit., p. 13.
  • 7. Idem.
  • 8. Ibid., p. 19.
  • 9. Albert Mermoud, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987, p. 136-137.
  • 10. Ibid., p. 139.
  • 11. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit., p. 18.
  • 12. Idem.
  • 13. Ibid., p. 19.
  • 14. Idem.
  • 15. Ibid., p. 9.

Bibliographie

  • Sources
  • Paris des Rêves, photographies : Izis, textes : quarante-huit auteurs, Lausanne, La Guilde du Livre, (impression Héliographia, Lausanne, reliure Mayer & Soutter, Lausanne), 1950.
  • Bulletins mensuels de la Guilde du Livre, 1936-1976.
  • Littérature sécondaire
  • MERMOUD, Albert, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987.
  • CORSINI, Silvio (dir.), Le Livre à Lausanne, cinq siècles d’édition et d’imprimerie, 1493-1993, Lausanne, Payot, 1993.
  • BIDERMANAS, Manuel et CANITROT, Armelle, Izis Bidermanas, Paris des Rêves, cat. expo. Izis, Paris des Rêves, Hôtel de Ville de Paris (20 janvier-29 mai 2010), Paris, Flammarion, 2009.