• Accès rapides :
  Bibliographie
  Notes en bas de page

Le livre photographique sur Lausanne, entre tradition et innovation

• 1. Roland Jaeger, « Ein Bilderkompendium aller Weltstädte : die Reihe das Gesicht der Städte im Albertus-Verlag, Berlin » et Roland Jaeger, « Das billige Städtebuch von hoher Qualität : die Reihe der Hundert im Verlag der Reihe, Berlin » in Autopsie : deutschprachige Fotobücher 1918 bis 1945, Göttingen, 2012.
• 2. Arnold Grospierre (images), Lausanne : la vieille cité, (date inconnue) ; Paul Maillefer (texte), Frédéric Boissonas, Lausanne, Genève, 1923.
• 3. Titres parus entre 1945 et 1975 : Lausanne (Gaston de Jongh, Marguerat, 1945), Lausanne, une ville qui a mal tourné (Germaine Martin, Mermod, 1946), Lausanne : vue cavalière (Association des intérêts de Lausanne, 1947), Lausanne (Henriette Grindat, Guilde du Livre, 1952), (...)

À travers toute l'Europe, le genre de la monographie photographique urbaine prend son essor dès l’entre-deux-guerres : des collections entières sont consacrées aux métropoles du continent ou du monde, à l’instar de « Das Gesicht der Städte »1, et les principales villes suisses font alors déjà l’objet de volumes illustrés isolés. À Lausanne, si quelques albums photographiques sont dédiés à la ville avant 19452, c’est surtout avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale qu’ils se multiplient, pour devenir un genre étonnamment florissant pour une localité de cette taille, avec une douzaine de titres parus entre 1945 et 19753. Si la production perdure depuis, c’est souvent à travers des ouvrages plus ciblés sur des thématiques spécifiques.

Sept des ouvrages parus entre 1945 et 1975 sont édités à Lausanne même, chez Marguerat, Mermod, Payot et à La Guilde du livre, trois à Neuchâtel, aux Editions du Griffon, un autre est publié à Genève, aux Editions Générales, pendant qu’un fascicule en langue allemande est édité à Berne. Tous sont composés d’une série de planches accompagnée de textes, et sont destinés à témoigner des attraits et de la beauté de la ville. Un titre fait néanmoins exception : Lausanne, une ville qui a mal tourné en 1946, qui regroupe divers articles et quelques vues de Germaine Martin afin de dénoncer l’urbanisation récente de la ville – un cas rare de monographie urbaine négative.

• 4. Gaston de Jongh (1888-1973) (...)
• 5. Max-Francis Chiffelle (1913-2002) (...)
• 6. Germaine Martin (1892-1971) (...)
• 7. Henriette Grindat (1923-1986) (...)
• 8. Yvan Dalain (1927-2007) (...)
• 9. Marcel Imsand est né en 1929 (...)
• 10. Gertrude Fehr (1895-1996) (...)

Les photographes impliqués dans ces albums peuvent être répartis en deux catégories principales : d’une part, des professionnels inscrits dans une tradition mettant l’accent sur l’excellence technique et documentaire de la vue patrimoniale ou touristique, tels Gaston de Jongh4 ou son assistant Max-Francis Chiffelle5 ; d’autre part, des auteurs d’un genre nouveau qui entendent plutôt témoigner d’une atmosphère et de la vie contemporaine, à travers une technique plus libre et une certaine subjectivité, tels Germaine Martin6, Henriette Grindat7, Yvan Dalain8 ou Marcel Imsand9. L’existence de ces deux tendances n’est pas étrangère au changement qui s’effectue dans la formation de photographe durant la période. Alors que les premiers ont appris leur métier de père en fils, les seconds sont souvent passés par l’école de Gertrude Fehr10. Cette scission dans l’approche de la photographie comme dans les filières d’apprentissage se ressent également dans la manière de représenter Lausanne.

• 11. « Nous avons vu paraître depuis deux ou trois ans de nombreuses collections, admirablement illustrées, bien propres à faire mieux connaître, chez nous comme au dehors, cantons et pays suisses. » (G. D., « Découvre ton Pays », Gazette de Lausanne, 15 décembre 1945, p. 3). « Après Genève, Fribourg, le Valais, et cet admirable Pays de Vaud, Jean Marguerat nous donne dans sa grande collection illustrée un Lausanne splendide, où revivent tous les charmes de cette ville unique. » (G. D., « Lausanne », Gazette de Lausanne, 18 avril 1946, p. 4).

Les textes, introductions longues ou articles séparés, émanent eux aussi d’auteurs très divers. Ce sont parfois des journalistes, comme dans le cas de Bertil Galland (né en 1931), qui participe à plusieurs ouvrages du corpus, des écrivains régionaux comme Jacques Chessex et Vio Martin, des spécialistes universitaires, tel un géographe, mais également des hommes politiques comme Paul Chaudet ou les différents syndics de Lausanne. Cette diversité des plumes est elle-même liée à la variété des projets éditoriaux. Certains ouvrages sont des commandes directes de la municipalité. C’est le cas de 1000 Lausanne, qui est destiné à être offert aux jeunes de la ville ayant atteint leur majorité. D’autres sont des commandes de l’Office du tourisme, tels Lausanne : vue cavalière ou Reflets de Lausanne et du Pays de Vaud, et répondent donc à une volonté de promotion touristique à destination d’un public extérieur. D’autres enfin sont des initiatives d’éditeurs dans le cadre de leurs propres collections : l’ouvrage Lausanne de de Jongh s’inscrit dans la collection « Merveilles de la Suisse » de Marguerat, Lausanne d’Yvan Dalain appartient à la série « Villes et Pays de Suisse » des Editions générales, pendant que Lausanne en zigzag de Max-Francis Chiffelle, Lausanne et Flâneries autour de Lausanne d’Henriette Grindat font partie des « Trésors de mon pays » des Editions du Griffon. Ces collections dédiées au patrimoine national sont très vivaces dans les années 1940-1950 : le nombre de titres qui les composent peut avoisiner la centaine, ce qui vient corroborer l’intérêt des contemporains pour ce type d’albums, tout comme les recensions positives11 dont elles font l’objet dans la presse.

• 12. L’Association des intérêts de Lausanne fait suite à la Société pour le développement de Lausanne et deviendra, en 1997, l’actuel office du tourisme baptisé « Lausanne Tourisme ».

Selon la partition évoquée plus haut, on peut distinguer deux manières dominantes de présenter la ville. Une partie des ouvrages s’attache essentiellement au patrimoine : bâtiments, sculptures, fontaines ou parcs. C’est le cas du Lausanne de de Jongh, de Lausanne : vue cavalière de l’Association des intérêts de Lausanne12 et du Lausanne en zigzag de Max-Francis Chiffelle. On se trouve face à des vues, souvent frontales ou de trois quarts, des principaux monuments de la ville, dénuées de présence humaine et de vie (fig. 1, 2, 3 et 4).

Fig. 1, Lausanne vue cavalière, n. p.	Fig. 2, Lausanne, p. 48-49.
Fig. 3, Lausanne vue cavalière, n. p.	Fig. 4, Lausanne vue cavalière, n. p.

L’autre versant s’intéresse plutôt à l’atmosphère et à la vie de la ville (fig. 5, 6, 7, 8 et 9). Le volume d'Henriette Grindat à la Guilde du Livre (fig. 5) s’inspire ainsi de l’ambiance rêveuse du Paris d’Izis. Un an avant l’Expo 64, Yvan Dalain s’applique, lui, à moderniser l’image d’une cité où l’on danse le twist à Saint-François, et où voitures et transports publics sont désormais très présents (fig. 7). En 1969, Marcel Imsand souligne surtout les contrastes offerts par les mouvements urbains – entre classes sociales, époques et modes de vie (fig. 9). Cette différence d’approche se ressent également dans la mise en page : les ouvrages les plus patrimoniaux accordent une grande place aux légendes et à la multiplicité des formats sur une même double page (fig. 1, 2, 3 et 4) ; les autres privilégient la reproduction pleine page, à bords perdus et sans légende (fig. 5, 6, 7, 8 et 9).

Fig. 5, Lausanne, p. 34-35.	Fig. 6, Lausanne, n. p.
Fig. 7, Lausanne, n. p.	Fig. 8, 1000 Lausanne, n. p.
Fig. 9, 1000 Lausanne, n. p.

• 13. Dossier « Lausanne » (IS 4359, carton F 178), Fonds de la Guilde du Livre, BCU, Département des manuscrits.

La manière d’entrer et de circuler dans Lausanne varie également en fonction des livres. Dans certains cas, notamment aux Editions du Griffon, on aborde la ville de manière douce, en insistant sur son ancrage rural : on commence par appréhender la campagne environnante avant d’arriver en vieille ville, puis on descend à travers les parcs jusqu’au lac, pour terminer par quelques vues du Lavaux. D’autres ouvrages s’organisent plutôt par thématiques, soit clairement énoncées comme dans Lausanne : vue cavalière (la fig. 4 s'insère dans la section dédiée au thème du lac), soit plus souterraines et plus dispersées. Ainsi, si la maquette de l’album de Grindat à La Guilde est à l’origine discutée autour de thèmes13, ceux-ci ne constituent pas pour autant des chapitres bien définis dans le livre final. La cohérence topographique prime en général sur la classification thématique.

Certains motifs reviennent de façon récurrente : on s’intéresse au marché, au lac, aux sports (fig. 10), à la jeunesse. Quelques-uns sont omniprésents. C’est le cas de la Cité, de la Cathédrale, des rives du lac, mais aussi des nouvelles constructions modernes, présentes dans tout le corpus, mêmes si les exemples changent au fil des ans, de la Tour Bel-Air aux tours de Valmont, et même si, volontiers relégués en fin d’ouvrage, leur statut n’est pas toujours très clair. Par sa position géographique, la Cathédrale domine la ville et elle prédomine aussi dans les livres, dont elle compose régulièrement l’ouverture. Elle est en général suivie par la Cité, pour laquelle on s’intéresse surtout aux bâtiments. Quant au lac, les ouvrages des années 1945-1955 aiment le montrer à travers des vues panoramiques (fig. 11 et 12) qui donnent à voir aussi les paysages qui le jouxtent ; ceux des années 1960-1970 se resserrent sur des vues plus fragmentaires, des scènes de vie et de loisirs au bord de l’eau (fig. 13). Même si leurs représentations varient selon l'œil des photographes, ce sont bien quelques lieux clés qui forgent l’identité relativement stable de la ville de Lausanne.

Fig. 10, Lausanne, p. 72-73.	Fig. 11, Lausanne, p. 68-69.
Fig. 12, Lausanne, p. 40-41.	Fig. 13, 1000 Lausanne, n. p.