Marcel Cottier (Fribourg/Genève)

Marcel Cottier (Fribourg/Genève)

Belles saisons imparfaites

Depuis quelques années, j’ai ouvert ma pratique d’écriture et de dessin à des formats et des supports qui me permettent de créer des espaces d’expression nouveaux en échappant au cadre – j’allais dire à la tyrannie – de la page. Parmi ces formats, le rouleau de papier occupe une place essentielle. Le déploiement horizontal favorise en effet une « allure », une orientation vers un horizon mental très différent de ce que conditionne la succession des hauts et bas de pages. Effeuiller n’est pas dérouler. Ceci est vrai tant pour la lecture que l’écriture. Et il m’arrive de rencontrer des textes dont l’esprit s’accorde mieux avec le geste de déroulement car ils ne reposent pas sur une construction (rhétorique, narrative ou même poétique) mais sur un processus – qui souvent passe par l’errance et la déconstruction.

Belles saisons imparfaites de Claudine Gaetzi est né d’une écriture qui interroge la vie à partir des traces laissées sur son corps, ses émotions et sa mémoire, par le lieu où se sont forgées sa personnalité, sa sensibilité, la cohérence de ses repères, sa réception physique du monde réel. Ce lieu, c’est une maison – porteuse de tout un monde, de toute une histoire. Ebranlée par la perte de cette maison, l’auteure engage à la fois un travail d’évocation du lieu, des événements qu’elle y a vécus, des objets qu’elle y a touchés etc., et de réflexion sur ce qu’elle éprouve. Elle fait dialoguer deux niveaux d’écriture pour tenter de faire émerger de ce « frottement » un nouveau lieu d’existence possible qui ne procède pas de l’oubli et du déni de souffrance, mais bien plutôt d’une descente en soi-même et d’une mise en forme du paysage de mémoire combiné au spectre émotionnel révélés par l’expérience même de la perte. Ecrire cela, c’est tracer un chemin avec des mots pour survivre. Ecrire cela, c’est dire et tenter de surmonter le morcellement qui nous guette tous au tournant de notre histoire – car tôt ou tard, notre histoire nous lâche, nous abandonne, notre maison est perdue, « vendue ».

La proposition de livre d’artiste que je présente ici reprend le processus mis en œuvre par Claudine Gaetzi. L’écriture manuscrite me permet de renforcer ma position de lecteur en prenant en charge par mon propre geste la mise en forme des mots, des ensembles de mots qui me sont livrés. Et prolonger cette écriture par une autre, celle des lignes et des couleurs, c’est donner à voir la mise en mouvement des multiples sensations, émotions et pensées suscitées en moi par ma lecture – tout cela qui forcément se répond, se heurte, jaillit, s’efface, glisse, en suivant, en épousant le relief du texte. Une lecture qui prend corps en donnant corps au texte. Un corps relatif et imparfait (au sens de non encore accompli, comme le temps verbal l’indique), témoin d’une lecture relative et imparfaite qui interroge, au fur et à mesure qu’elle crée son espace, ses propres traces comme lieu de vie possible sur la crête du présent.

L’enjeu de ma démarche – le défi – est de faire écho à celle de Claudine Gaetzi et d’accompagner le mouvement sans avoir à tourner de page (sinon « transparente », comme elle le précise dans le dernier paragraphe) sur le passé, mais bien en déroulant un espace-temps d’écriture au terme duquel il est possible d’affirmer : « La maison est toujours présente ».

Note pour la production

Rouleau de papier Canson, 250gr/m2, de 0,5 m de hauteur sur 10 m de longueur.
Texte manuscrit à l’encre noire, dessins à l’aquarelle.
Support original destiné à la reproduction à l’identique par impression numérique de haute qualité.
Tirage limité à 12 exemplaires au format 1/1.

 

 
 

Marcel Cottier