Anne Pantillon et Victor Bringolf (Lausanne et Bâle)

Anne Pantillon et Victor Bringolf
(Lausanne et Bâle)

Pierre Fankhauser, La Visée

Notre posture face à ce texte ciselé, poétique, était claire: placer le lecteur dans une dynamique et un bain visuel similaires à celui du marcheur que nous suivons dans le récit. La visée est un voyage sensoriel au travers d’un paysage nocturne. Un marcheur dans la nuit, ses pensées accrochées en bandoulière, cherche sa trace, le corps entier en alerte, avec son rythme, sa routine, ses surprises, ses moments d’euphorie et de découragement, pour atteindre son objectif ultime: le feu de camp. Le travail s’est construit autour de trois axes:
Le premier axe fait écho à l’aspect intellectuel, très technique, de cette marche dans la nuit : se situer dans le paysage par l’observation du terrain et la lecture d’une carte géographique, établir une trajectoire grâce à une boussole.
Le second axe révèle la réalité du terrain par une série de contrastes:
- un être humain en mouvement, chaud dans un espace immobile, froid
- variations de terrain — vecteurs topographiques
- matières rencontrées, touchées, observées: neige, glace, bois, herbe, terre, eau, métal, asphalte, roche
- effets de la marche sur le marcheur (effort, euphorie, fatigue, espoir, abnégation)
Le troisième axe traite de l’aspect philosophique de ce texte, les pensées et rêveries activées par l’acte de marcher. Les peintures d’Anne Pantillon portent en elles l’interprétation du terrain, la visualisation à la fois concrète et abstraite du paysage ressenti.
Dans un premier temps, l’analyse et le séquençage du texte se sont faits en parallèle de balades et de photos nocturnes dans des paysages enneigés. Ensuite, les illustrations sont nées d’une lecture répétitive de phrases choisies, qui, telle la litanie d’un mantra, malaxe le cerveau pour qu’il produise des images. Comme une évidence, Anne Pantillon a utilisé la technique des empreintes pulsées qu’elle développe depuis plusieurs années. Le déplacement de la trace du bras sur le papier relaie celle déposée par le marcheur dans le paysage, imprime par un mouvement rythmé les courbes de niveaux de la carte géographique. Ces vibrations contractent les deux approches du paysage vécues par le marcheur de La visée, l’une cartographique, l’autre, physique et ancestrale, de la trace laissée par un marcheur.

L’empreinte du graphite sur papier cuve blanc s’est imposée. Suavité de la vision de la neige, dégradé des ombres, strates des pentes. Le besoin d’introduire l’âpreté des matières foulées, l’aspect brut du paysage qui, tel un mur, résiste au marcheur, a fait porter le choix d’Anne vers le fusain pour sa rugosité et son noir velouté. Le rouge de la pulsion de vie, chaude dans cet espace froid, l’euphorie du marcheur dans son effort, renforce le contraste, brutalise l’œil du lecteur comme le marcheur dans la nuit. Tracer son chemin dans la nuit froide sans raison vitale relève de la philosophie. Recherche de soi, du sens de la vie, marcher pour prendre de la hauteur, se confronter à ses limites. Contrepoints des peintures rouges, les bleus d’une évidente froideur touchent à l’immensité astrale, emportés par des mouvement ascendants, profonds.

Le choix du papier calque, matériau intrinsèquement technique, et de la reliure japonaise ont pour objectif de provoquer une participation active du lecteur, de l’emmener sur le chemin du marcheur dans la nuit qui devine, tâtonne, revient sur ses pas, admire le ciel, une ombre, une étendue neigeuse, se laisse surprendre par une matière, une pente et laisse son pied prendre les commandes. Ici, la main appuie le calque, laisse apparaître des silhouettes, des jambages, des cursives. L’œil fait la mise au point.
C’est aussi un jeu de pistes, les images se superposent, basculent d’une page à l’autre, se rencontrent, s’opposent. Dans cet esprit, le choix du format s’est porté sur celui d’un carnet de voyage, facile à tenir, à emporter. La police de caractères Lyon Display a pour but de refléter les contrastes du texte et d’évoquer l’outil de La visée, ronde comme la boussole, pointue comme son aiguille.
Afin de rendre la lecture fluide et lumineuse, le texte a été imprimé sur un papier naturel relativement fin.
Les peintures bleues et rouges viennent quant à elles sur un papier blanc brut un peu plus épais, afin d’affirmer les matières, les ruptures du texte ainsi que les contrastes de l’état physique et mental du marcheur. Ainsi, le lecteur qui feuillète le livre, sent la cannelure irrégulière des différents papiers sous ses doigts, à l’image des courbes de niveau, du terrain.
Pour préserver l’effet de surprise, le choix s’est porté sur une couverture typographique sobre, qui préserve le contenu du livre. Deux versions, l’une sombre l’autre blanche, duo représentatif de la luminosité contrastée du texte.

Note pour la production

160 pages, 40 reproductions de peintures (format réduit)
Dimensions (ouvert): 19,5 x 27 cm
Papiers : Munken Natural 90 gr., Indigo Rough 105 gr., Translucent 80 gr., Environment Wrought Iron 270 gr.
Police de caractères : Lyon Display
Impression: Printhouse Job Factory Basel AG
Reliure: René Freiburghaus AG

Edition de tête:
1 gravure originale imprimée chez Raymond Meyer, Lausanne

 
 
 
 
 
 

Anne Pantillon et Victor Bringolf