Anne Peillex (Genève)

Anne Peillex (Genève)

Pierre Fankhauser, La visée

Au fil de mon approche des trente tableaux que comporte La visée, il m’est apparu qu’il conviendrait de disposer des cimaises qui servent sa composition, ses contours et sa modernité…

Le récit est celui d’un narrateur secret qui n’est pas un « je », mais un corps suspendu à la visée, qui avance selon une trajectoire, un trait de crayon à travers le paysage, une ligne qui suit la courbe terrestre. La nuit, traversée pas à pas, prend corps elle aussi, pour devenir un royaume de sons, de couleurs, d’odeurs, et de lumières autour duquel tourne la terre… Dans ce récit, pas de « je », mais des pas ! C’est-à-dire des pieds collés au sol… Ils ont des yeux, perçoivent des sons; ils ont un visage. Ils sont ancrés dans le flux magnétique d’un univers qui se dissout en plans successifs, comme des panneaux lumineux dans la nuit.

J’ai pensé donner une forme visible à ce corps au regard aiguisé, qui vise obstinément l’azimut à l’aide de sa boussole - sorte d’objet transitionnel – laissant espérer qu’il sera au rendez-vous… Avec ce qui peut se voir. Avec lui-même, semble-t-il, quand son regard se tourne vers l’intérieur. C’est affublé d’un papillon noué autour du cou, mise en abîme d’une poétique de la distinction, que j’ai représenté ce passager du récit. Pour s’instaurer une place, il décide en dernier ressort de faire appel à d’autres lieux, à d’autres temps parfaitement éloignés… Il expérimente les horizons qui se frottent et se décalent, comme l’ont fait d’autres voyageurs initiés avant lui. Dans La visée, j’ai accompagné ses pas, parcourant le royaume à part entière où se tissent les allégories et les floraisons multiples des sens, découvrant en parallèle la trajectoire intime de mon propre univers poétique, avec lequel j’avais, moi-aussi, un rendez-vous… Dans cet espace libéré, je donne à feuilleter des panneaux de calques calligraphiés, sortes de cimaises qui laissent deviner par transparence les parcelles de cartons photographiques arrachés, décollés, recomposés, des traces encrées ou lettres sur une carte, des silhouettes en creux, cachées, ou révélées, un autre fragment de calque qui les dédouble ou les masque, ou bien des dessins de joaillerie, formes tout en brillance ou en matité, des éclats, miroir de la boussole, mais aussi iridescence d’émaux. La couverture, sorte de papillon de couleur vive, mais parsemée de virgules noires ou blanches, referme ses ailes sur une composition qui pourrait être considérée comme une pratique initiatique.


 
 
 
 
 
 

Anne Peillex