Christiane Yvelin (Genève)

Christiane Yvelin (Genève)

Pierre Fankhauser, La visée

Au premier abord, le texte de Pierre Fankhauser m’a paru complexe, un peu déroutant. Comment le prendre, s’en saisir, y entrer, l’apprivoiser, se l’approprier ? Pas facile.
Nouvelle lecture. J’imagine le paysage : on monte, on descend, on regarde à droite, on regarde à gauche, on remonte, on redescend. Sans se retourner. Un peu comme moi lorsque je marche à la montagne. Le soir, on peut imaginer la nuit, et la nuit on peut imaginer le matin. Il suffit d’avancer. Je sais qu’on ne peut pas marcher bien vite. Il faut faire attention où on met les pieds, ouvrir les yeux, écouter les bruits. En deux mots, c’est l’exercice de la lenteur et de l’attention.
D’où l’idée de taper le texte à la machine à écrire. On fait bien deux ou trois fautes de frappe, mais ce n’est pas grave, on rectifie et on continue. Comme quand on marche. Les plus grands voyageurs écrivaient bien à la main dans leur carnet voire trimballaient une petite machine portable qu’ils posaient sur leurs genoux. Alors chiche, premier exercice : chercher un marchand qui loue des machines à écrire. Et trouver la machine. Pas n’importe laquelle. Une vieille, sans marguerite, avec des bandes de correction en papier Tipp‐Ex. Il suffira de faire attention, de bien se concentrer. On ne voit pas bien clair dans le parcours. On voit proche. On voit loin. Pas très loin mais on voit. Enfin, on devine. Il faut du papier. Pas n’importe lequel. Du papier calque, par exemple. Plié en deux, superposé, il forme des strates qui laissent voir et deviner les phrases. J’ai regardé mes photos – j’en ai des milliers ‐ du matin, du soir, de la nuit, et certaines se sont invitées. Elles faisaient soudain partie du voyage, comme si c’était moi qui étais partie. Subitement, cette sortie devenait aussi la mienne. Puisqu’on était parti pour la lenteur, autant l’adopter jusqu’au bout. Pierre Fankhauser avait fini son voyage mais moi je n’avais pas fini mon livre. La reliure japonaise est comme la nature. Simple avec beaucoup d’économie : un poinçon pour faire des trous, un marteau pour taper sur le poinçon, un bout de ficelle ou deux bouts de fils de coton, une aiguille et… un peu de temps devant soi.

En fait cette histoire, c’est celle de quelqu’un qui a pris son temps et qui m’a obligée à prendre le mien.


 
 
 
 
 
 

Christiane Yvelin