Maintenant on a trouvé une autre manière de sacrifier les enfants à Moloch, plus joyeuse, délectable et profitable : c'est de les mettre en quelque cloître, en quelque moinerie, ou autre secte. [...] Or ne furent jamais les enfants des anciens idolâtres en tels feux et fournaises que ceux-ci. Car ils sont bien nourris, entretenus en toutes voluptés et délices, gros et gras, et ne leur est néanmoins point loisible de se marier : par quoi il faut nécessairement qu'ils brûlent de concupiscences charnelles en leurs cœurs, et qu'ils viennent polluer et contaminer leurs corps et âmes, en toute vilenie et paillardise, voire bien souvent si exécrable, que c'est merveille que la terre n'en est abîmées. [...]
Combien en trouvera-t-on, qui du membre de Jésus Christ, n'en fassent le membre de la paillarde ; du Temple de Dieu, un bordel de Satan ; et de choses bien souvent si exécrables et énormes, que les bons en ont horreur non seulement d'y penser, mais aussi de les ouïr nommer ? Et d'autant que l'hypocrisie et l'apparence de sainteté y est plus grande, d'autant y a-t-il plus de danger. Car pour maintenir cette bonne renommée et opinion de sainteté qu'on a acquis auprès du peuple et pour conserver l'honneur de l'ordre, il ne faut point douter qu'on ne trouve de subtiles inventions et que pour couvrir une faute et un péché, quand on l'a commis, bien souvent on n'en commette de plus graves et que ce qui est advenu une fois à David, n'advienne par plusieurs fois à telles gens. Si David, pour excuser et couvrir son adultère, a fait tuer Urie, pensez que ceux qui sont aussi loin de la sainteté de David que le ciel de la terre peuvent faire en tels cas, et quels moyens ils peuvent avoir pour cacher leur vilenie ?
Le don de chasteté et de continence est bien rare, et donné à peu de gens, comme notre Seigneur Jésus et le saint Apôtre le donnent assez clairement à entendre. Et toutefois, sans ce don ci, il est aussi possible de vivre chastement sans être corrompu et pollué, si ce n'est toujours au corps, pour le moins en son cœur et en sa pensée, comme de vivre sans boire, manger, et dormir.

Tiré de : De la différence ([Genève : Jean Girard], 1542, f. D5-D7)