- Tobie : Cet empereur-là n'a pas été surnommé Sévère sans bonne cause. Car il a usé de merveilleuse sévérité en telles choses.
- Jérôme : Il a été si sévère qu'il a fait édit public par lequel il a fait publier qu'il n'y eût magistrat ni officier qui se trouva devant lui s'il avait pris dons ni présents de personne quelconque. Car il a ordonné que tous ceux qui seraient convaincus de tel cas auraient la tête coupée, sans avoir aucun égard ni à la qualité et grandeur, ni à l'état des personnes.
- Tobie : Nous aurions bien besoin aujourd'hui de tels princes au lieu de ceux qui aiment mieux avoir des serviteurs et des officiers larrons et du tout corrompus que des autres qui soient ronds et entiers, craignant Dieu, et de bonne conscience. Car parce qu'ils sont bien joyeux d'avoir leur part du butin, ils aiment trop mieux ceux qui savent faire venir l'eau au moulin, et dresser les pratiques pour en avoir, que ceux qui ont la conscience tant étroite. Car ces consciences tant étroites, ne sont point aujourd'hui louées ès cours des princes, ni entre ceux qui sont en office. Les plus larges consciences y sont les plus propres.
- Jérôme : Tu en dis ce qui est. Par quoi on peut bien faire à tels princes et magistrats le reproche lequel Isaïe a fait à ceux de son temps quand il les a appelez « larrons et compagnons des larrons ». Mais il me semble qu'il serait bon que nous ouïssions aussi de Théophraste s'il a rien à nous dire sur ce propos. Car si ces corruptions et pratiques ont été jugées si mauvaises et punies tant rigoureusement par les païens mêmes, nous pouvons bien juger comment Dieu les peut approuver en sa Loi.
- Théophraste : Je vous mettrai en avant aucuns des principaux passages des saintes Ecritures auxquels il est fait mention de telle matière, afin que vous puissiez juger par iceux quel plaisir Dieu y prend. Pour le premier, le Seigneur dit par Moïse : « Tu ne prendras point de don. » Et puis le Seigneur rend la raison pour laquelle il fait cette défense, disant : « Car le don aveugle les prudents et renverse les paroles des justes ». Et en un autre lieu : « Tu ne renverseras point le droit, et ne auras respect aux personnes. Et tu ne prendras aucun présent. Car le présent aveugle les yeux des sages et pervertit les paroles des justes. » L'Ecclésiastique, pour plus grande déclaration de ces paroles, ne dit pas seulement que les dons et les présents aveuglent les yeux des sages, mais il ajoute encore à cela qu'ils sont ainsi comme un mords en la bouche, qui les garde d'user de répréhension.
- Jérôme : Si les dons et les présents sont de telle nature, ils sont merveilleusement à craindre. Car à ce compte, ils rendent les hommes aveugles et muets, en telle sorte qu'ils ne voient plus goutte en droiture et justice, et ils n'ont point de bouche pour prononcer juste sentence, et pour corriger ceux qui en sont dignes.

Tiré de : Le Monde à l'empire (Genève : Jacques Berthet, 1561, p. 56-57)