- Jérôme : Mais Pline dit aussi merveilles de l'intelligence des corbeaux, et singulièrement d'un qui était à Rome du temps de l'Empereur Tibère, lequel eut aussitôt appris à parler, et tous les matins s'envolait en la place, et allait saluer premièrement l'empereur Tibère, et puis les deux césars, Germanicus et Drusus, nom par nom, et puis après le peuple romain qui passait par là. Et faisait cela par long espace de temps. Et pour cette raison les Romains furent si marris de sa mort, qu'ils firent mourir, pour la venger, celui qui l'avait tué. Et firent porter ensevelir le corbeau honorablement, avec solennelles funérailles, comme ils eussent fait pour quelque grand personnage.
- Tobie : Je ne suis pas ébahi si les Romains furent marris de la mort de celui-ci ; mais tant sages qu'ils aient été, ils ont montré qu'ils étaient plus bêtes que le corbeau, d'ôter la vie à un homme pour la mort d'une bête, et d'honorer ainsi une bête après sa mort.
- Jérôme : [...] Mais si tu juges ceux-ci bêtes qui ont fait mourir un homme pour un corbeau qui parlait et qui était si sage et tant bien appris, combien estimes-tu plus ceux qui font mourir les serviteurs de Dieu, non pas pour avoir tué une bête qui parle mais pour avoir abattu une idole et une image muette, qui a bouche et ne parle point, et ne crie pas de son gosier ? Car il n'y a ni mort ni effusion de sang aucune : car la mort ne peut être là ou il n'y a point eu de vie. Et quoi qu'on fasse aux images, elles n'ont garde d'en saigner ni d'en rien sentir. Et qui plus est, ceux qui les rompent et abattent, rompent et abattent une chose inutile, et dommageable, défendue et maudite de Dieu. Ceux-là donc qui font mourir les personnages pour telles choses sont non seulement plus bêtes que le corbeau, mais que les bêtes sauvages, et plus dangereux que les brigands.

Tiré de : Métamorphose chrétienne (Genève : Jacques Brès, 1561, p. 471-472)