- Jérôme : Mais puisque nous sommes entrés sur le propos des bons ménagers, il me semble que nous avons encore à parler d'un point qui est fort requis, non seulement en tous ceux qui veulent être estimés pour bons ménagers, mais aussi en tous ceux qui veulent être tenus pour hommes humains, et non pas pour bêtes plus inhumaines que les bêtes sauvages. Ce point duquel je parle est touchant l'amour et l'amitié que le mari et la femme doivent avoir par ensemble, et touchant le soin qu'ils doivent avoir l'un de l'autre, et pareillement les pères et les mères envers leurs enfants. Car si ces vertus ne sont ès pères et ès mères de famille, quel pourra être leur ménage ? [...]. Je parlerai en premier lieu des colombs et des colombes, parce que nous avons un bon exemple en iceux de l'amitié qui doit être entre le mari et la femme, et du soin qu'ils doivent avoir l'un de l'autre, et puis tous deux ensemble, des enfants lesquels Dieu leur donne. Car les colombs sont en ce point ici de nature fort contraire aux mâles des perdrix. Car les mâles des perdrix rompent les œufs de leurs femelles, et finalement perdent leurs femelles parce qu'elles ne veulent pas recevoir leurs mâles depuis qu'elles couvent. Et pour ce ils les abandonnent.
- Tobie : Tu ne les nous peux pas donc proposer pour exemple de bons ménagers et de bons maris, mais plutôt pour exemple de mauvais maris et inhumains, qui n'aiment leurs femmes, sinon comme les paillards aiment leurs paillardes, à savoir à cause tant seulement de la volupté charnelle, qu'ils peuvent avoir avec elles.
- Jérôme : Et pour cette raison je te veux proposer les colombs pour exemples contraire. Car ils prennent avec leurs femelles une partie du soin et de la peine qu'il leur faut mettre après leurs œufs et leurs petits. Car ils entretiennent les œufs quand besoin est ; ils portent aussi la becquée à leurs petits. Et quand la femelle demeure trop à la pâture, ils l'appellent de leurs ailes, et la contraignent à venir à leurs petits.
- Tobie : Tous les maris et toutes les femmes, et tous les pères et les mères de famille, n'accordent pas si bien ensemble à nourrir leurs enfants et à entretenir leur ménage. Car il advient souventes fois que l'un remet toute la charge sur l'autre. Car combien y a-t-il de maris mauvais ménagers qui ne se soucient aucunement de leur ménage, ni de leur femme et enfants, mais en laissent toute la charge à leur femme ? Combien y a-t-il aussi de femmes qui font le semblable envers leurs maris ? Mais c'est bien encore le pire, quand et les uns et les autres ne font rien de leur devoir, mais laissent tout sans s'en point soucier.

Tiré de : La métamorphose chrétienne (Genève : Jacques Brès, 1561, p. 200-202)