Tout est orné de velours, de soie, de pierres précieuses et de choses les plus exquises qui se puissent trouver sur la terres ; auxquelles les yeux prennent une merveilleuse délectation, comme si l'homme était assis en un beau théâtre et dessus un échafaud bien orné et tapissé pour contempler quelque beau jeu et passe-temps. Les oreilles pareillement ont la douce harmonie, la belle chantrerie, le son de cloches, d'orgues, et autres mélodies qui apportent une merveilleuse récréation et volupté à la chair ; tellement que le temps ne lui dure point, et oublie le boire et le manger. Car il n'y a membre ni sens naturel en tout le corps qui n'ait à quoi passer le temps : yeux, oreilles, nez, et tous les autres, ont chacun leur objet, pour voir, ouïr, odorer et sentir choses agréables à l'homme extérieur, à celle fin qu'il soit là détenu, et que cependant l'homme intérieur, l'âme et la conscience, demeurent sans fruit. Et quand le pauvre peuple s'en retourne, il s'en va tout joyeux, comme s'il avait bien fait ses besognes. Et toutefois, quand il est de retour en sa maison, il se trouve aussi sage comme il était auparavant. Les yeux ont été repus de vaine contemplation ; les oreilles s'en reviennent pleines de flûtes et de sifflets ; mais le cœur demeure vide, et l'âme sans réfection ; et lui en prend comme à un malade qui rêve, ou qui songe, qui, durant son songe, croit être auprès d'une fontaine, et boire tout son soûl ; mais quand il est éveillé, il est autant altéré qu'auparavant. Ou comme à un avaricieux, auquel semble qu'il ait trouvé un trésor auquel il met la main, et empoigne les écus à belle bouteilles ; mais quand il est éveillé, tous ses écus lui échappent d'entre les doigts, et sa joie est tournée en tristesse quand il se voit frustré de son espérance. Tout ainsi en advient-il aux pauvres aveugles idolâtres qui se plaisent en leurs superstitions et blasphèmes, et croient déjà tenir Dieu par les pieds cependant qu'ils sont endormis en leurs erreurs et détenus en ces songes et rêveries, lesquelles Satan leur met en la tête. [...] Ne voyez-vous pas, pauvres séducteurs et séduits, que vous dormez en veillant, et que tout ce que vous faites n'est qu'un songe ?

Tiré de : De la différence qui est entre les superstitons ([Genève : Jean Girard], 1542, f. T4r-T6r)