Jeunesse et formation

Pierre Viret naît en 1511 dans la ville d’Orbe, qui faisait partie du bailliage commun d’Orbe-Echallens, passé aux mains des cantons de Berne et de Fribourg à la suite des Guerres de Bourgogne (1474-1477). Viret est donc sujet Bernois et Fribourgeois dès sa naissance. Son père exerçait la profession de tailleur.

Le Pays de Vaud au temps de Pierre Viret (le sud est situé en haut)
Carte tirée de : Johannes Stumpf, Gemeiner loblicher Eydgnoschafft, Zurich, 1548, livre 8, f. 246 (BCU Lausanne : 3F 44)

C’est à l’école municipale d’Orbe que Viret apprend à lire et à écrire, ainsi que de solides bases de latin. Son maître d’école, Marc Romain, qui avait séjourné dans la ville réformée de Strasbourg, aurait été le premier à diffuser des idées protestantes auprès des Urbigènes. A l’âge de seize ans environ, Viret se rend à Paris pour y étudier les arts libéraux, passage obligé de toutes études universitaires. Les sept arts libéraux sont divisés depuis l’Antiquité en deux parties. La première, nommée trivium, comprend la grammaire, la rhétorique et la dialectique. Les quatres arts libéraux suivants forment le quadrivium. Ils sont liés à l’étude des nombres (arithmétique, géométrie, astronomie et musique théorique).

Le cursus des études, depuis l’apprentissage de la lecture jusqu’à l’étude de la théologie, en passant par les arts libéraux
Gravure sur bois tirée de : Gregor Reisch, Margarita philosophica nova, Strasbourg, 1508 (Bayerische Staatsbibliothek, München)

Viret séjourne dans le collège universitaire de Montaigu où il suit notamment les cours du philosophe écossais John Mair. Une génération plus tôt, Erasme de Rotterdam avait également séjourné à Montaigu dont il a dénoncé dans ses Colloques le caractère plus que spartiate de l’hébergement. Parmi les étudiants de Montaigu de la génération de Viret se trouvaient également Jean Calvin et Ignace de Loyola, fondateur de la Compagne de Jésus. Appelé « maître Pierre Viret » par ses contemporains, Viret a très probablement acquis le grade de maître es arts (magister artium) durant son séjour à l’université de Paris.

John Mair entouré d’élèves
Gravure tirée de : John Mair, In Petri Hyspani summulas commentaria, Lyon, 1505 (Glasgow University Library)

La conversion de Viret au protestantisme a lieu durant ses études parisiennes. Le jeune homme renonce à devenir prêtre et à recevoir la tonsure, qu’il appelle « la marque de la bête ».
D’après Guillaume de Pierrefleur, membre du Conseil d’Orbe, qui rédige une chronique pour documenter la progression de la Réforme dans sa ville, Pierre Viret aurait dû fuir de Paris, pour ne pas risquer d’être persécuté comme protestant. Viret est de retour dans sa famille vers le début de l’année 1531.
« Le jour fête de la fête Saint-Jean-Evangéliste, qui fut un jour de mai 1531, prêcha à Orbe Pierre Viret, fils de Guillaume Viret, couturier et retondeur de drap, natif de la ville d’Orbe, son premier sermon. Le dit Pierre Viret avait été dès son commencement introduit aux lettres à Orbe, et puis fut à Paris, où il demeura pour quelques temps, comme de deux à trois ans, où il profita fort bien aux lettres, comme se montrera ci-après. Lui étant à Paris, fut noté tenir de la religion luthérienne, en sorte qu’il lui fut bien de se sauver, et tourna au dit Orbe en la maison de son dit père, où il séjourna jusques à ce qu’il fût prédicant. La première charge fut d’aller à Grandson commis pour y prêcher, et puis tomba en grande estime entre les prédicants luthériens. Il se fit compagnon de Guillaume Farel, et furent ceux qui commencèrent à prêcher la dite loi à Genève, et fut le grand prêcheur au dit Genève.» (Mémoires de Pierrefleur, éd. par Louis Junod, Lausanne, 1933, p. 27-28)

« Du premier sermon de Pierre Viret à Orbe »
Dans : Guillaume de Pierrefleur (1513-1579 ou 1580), Mémoire historique sur la Réformation religieuse de la ville d’Orbe, Copie de l’original autographe rédigé entre 1570 et 1574 (BCU Lausanne : H 324, f. 5vo-6ro)

Presque simultanément au retour de Viret dans sa patrie, le réformateur Guillaume Farel est introduit à Orbe par des ambassadeurs bernois. L’arrivée de Farel marque les débuts de l’église protestante à Orbe. La première Cène réalisée ouvertement selon les rites réformés à Orbe est organisée le 28 mai 1531. Pierre Viret fait alors partie de la petite poignée de fidèles auditeurs de Farel à Orbe.

Portrait de Guillaume Farel (1489-1565)
Gravure sur bois tirée de : Théodore de Bèze, Les vrais pourtraits des hommes illustres en piété et doctrine, Genève, 1581 (BCU Lausanne : 1J 30)

C’est Farel qui convainc Viret de devenir prédicateur réformé. Le réformateur Antoine Froment décrit dans sa chronique la manière dont Farel s’y est pris pour que Viret, timide jeune homme de vingt ans, accepte de devenir pasteur :
« En ce temps-là, Pierre Viret était à Orbe, et il n’y avait pas longtemps qu’il était retourné des études de Paris. Farel, voyant que c’était un jeune homme de fort grand espoir, tâcha de l’introduire au ministère à Orbe. A quoi Viret résistait de tout son pouvoir, d’autant qu’il considérait la grandeur et difficulté du ministère de l’Evangile, et que de son naturel il était craintif et modeste. Farel, connaissant que Viret était touché de la crainte de Dieu et que pour rien il ne voudrait que l’Evangile cessât d’être prêché dans Orbe, se partit de là, laissant Viret en sa place, usant envers lui de grandes adjurations pour lui faire poursuivre l’œuvre qu’il avait commencée. » (Cité par Henri Meylan, Silhouettes du XVIe siècle, 1943, p. 28)
Jusqu’en 1536, Viret n’a pas de poste fixe de pasteur. Il prêche dans de nombreuses villes de Suisse romande, en particulier à Genève, Neuchâtel, Payerne, Grandson et Orbe, pour y implanter la Réforme et faire passer ces villes du catholicisme au protestantisme. Parfois, les autorités civiles mettent des lieux de culte à disposition des prêcheurs réformés, mais le plus souvent, Viret et ses collègues sont contraints de prêcher sur les places publiques ou dans les tavernes.

Une prédication publique au temps de Pierre Viret
Détail d’une gravure sur bois de Matthias Gerung reproduite dans : The German Single-Leaf Woodcut, 1550-1600, ed. Walter L. Strauss, New York, 1975, vol. 1, p. 309

Bague à poisonLa résistance de la population et du clergé catholique face aux prédicateurs réformés est parfois vive, voire violente. A deux reprises, durant les premières années où il prêche le message réformé, Viret échappe de peu à la mort. A Payerne, en 1534, un prêtre catholique attaque Viret à l’épée dans un champ à l’extérieur de la ville et le laisse pour mort. Le prédicateur réformé ne se remettra que lentement de cette blessure au dos. Quelques mois plus tard, à Genève, Viret est empoisonné par une servante nommée Antonia Vax, qui met du « sublimé » dans la soupe destinée au jeune homme. Le procès contre l’empoisonneuse conclura à la culpabilité de l’accusée, qui sera exécutée le 14 juillet 1534, mais ne parviendra pas à faire toute la lumière sur cette affaire, en particulier à établir le rôle joué par certains ecclésiastiques catholiques genevois. Viret conservera toute sa vie une santé fragile, qu’il attribue à ces deux tentatives d’assassinat.

Belladone
Gravure sur bois aquarellée tirée de : Leonhart Fuchs, Neu Kreüterbuch, Basel, 1543 (BCU Lausanne : 3P 1543)

L’année 1536 constitue un tournant décisif dans l’histoire de la Suisse. Le canton de Berne annexe au début de cette année le Pays de Vaud, au détriment du duc de Savoie et de l’Evêque de Lausanne. Si les Vaudois sont aujourd’hui rattachés à la Suisse plutôt qu’à la France, ils le doivent en grande partie à la conquête militaire bernoise de 1536 !

L’armée bernoise en campagne
Gravure sur bois tirée de : Johannes Stumpf, Gemeiner loblicher Eydgnoschafft, Zurich, 1548, livre 8, p. 275 (BCU Lausanne : 3F 44)

 

A la conquête du Pays de Vaud…
Bois gravé tiré de : Aretius, Commentarii in Evangelium secundum Matthaeum, Morges, Jean Le Preux, 1580 (BCU Lausanne : AZ 6204)

Passés à la Réforme en 1528, les Bernois souhaitent que les sujets des terres nouvellement conquises pratiquent la même religion qu’eux. Dans le but de convaincre le clergé et la population vaudoise, en grande majorité réfractaires aux idées protestantes, une « Dispute de religion » est organisée à Lausanne du 1er au 8 octobre 1536. L’évêque ayant fui la ville et les chanoines lausannois refusant de s’exprimer, les théologiens réformés remportent une victoire sans surprise. Aux côtés de Farel, c’est surtout Viret qui soutient les positions protestantes. Calvin est également présent, mais il intervient moins souvent que ses deux collègues. Le 19 octobre 1536, dix jours après la conclusion de la Dispute de Lausanne, les autorités bernoises publient l’Edit de Réformation qui interdit aux ecclésiastiques de dire la messe sur leur territoire. Le Pays de Vaud bascule alors officiellement dans le camp protestant.

La Dispute de Lausanne
François Bocion (1828-1890), La Dispute religieuse de Lausanne, 1857 Huile sur toile, 140 x 225 cm, commande de l’Etat de Vaud, 1853. Inv. 292
(© Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts. Photo: J.-Cl. Ducret)

Stumpf

Le réformateur

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