Grand Bal du Printemps

Jacques PREVERT et IZIS, Grand Bal du Printemps, 1951

  • 1. Israëlis Bidermanas, dit Izis (1911-1980) voit le jour à Marijampole en Lituanie (à cette époque encore sous l’Empire Russe) où il devient apprenti photographe en 1924. (...)

Grand Bal du Printemps vient clore la série d’albums photographiques sur Paris de la Guilde du Livre (☞ Les albums sur Paris), après La Banlieue de Paris en 1949 et Paris des Rêves en 1950. Albert Mermoud, fondateur de la Guilde, y poursuit sa collaboration avec le photographe lituanien Izis1, concepteur et photographe de Paris des Rêves, et fait appel au poète Jacques Prévert pour la rédaction du texte. Dans ses mémoires, il raconte l’origine de la rencontre entre les deux artistes :

  • 2. Albert Mermoud, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987, p. 138.

J’ai créé le contact, comme on met le feu aux poudres, parce que je sentais qu’une telle collaboration serait explosive. Prévert, démentant son élégance vestimentaire, manifestait par sa poésie et ses sentiments une grande tendresse pour le peuple démuni. Les images d’Izis témoignaient de la même prédilection. Je leur dis : « Il nous font monter une Fête populaire, quelque chose de brillant et d’exceptionnel. » Et ils ont imaginé Grand Bal du Printemps.2

  • 3. Marie de Thézy et Claude Nori, La photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992, p. 38.
  • 4. Albert Mermoud, op. cit., p. 140.

Entre le photographe et le poète, l’alchimie opère effectivement, à tel point qu’Izis « ne souhaite plus d’autre commentateur »3. L’année suivante, l’album Charmes de Londres reconduira la collaboration : Mermoud, Izis et Prévert passeront plusieurs jours à arpenter et photographier les rues de la capitale anglaise pour concevoir cet ouvrage, « peut-être le plus réussi par l’atmosphère unique qui s’en dégage »4, dira Mermoud. A la suite de ces albums, Izis en publiera encore deux à la Guilde, cette fois sans Prévert : Paradis Terrestre en 1953 avec Colette, et Israël en 1955 avec André Malraux. Quant à Prévert, en 1951 toujours, il livre encore à la Guilde le texte de Bim, le petit âne, album photographique pour enfants tiré du film homonyme créé avec Albert Lamorisse (☞ Bim, le petit âne).

Maquette

  • 5. Au début des années 1930, une photographie dite « humaniste » – car centrée sur l’homme – se développe en France, et plus particulièrement à Paris. (...)

Dans Grand Bal du Printemps, texte et planches ne sont plus séparés, comme c’était le cas dans La Banlieue de Paris; les photographies ne sont plus interprétées non plus par divers auteurs qui livrent leurs brèves impressions ou réflexions poétiques comme dans Paris des Rêves. Cette fois, Prévert écrit un long poème, étroitement lié aux photographies et entrecroisé avec elles. Sa dédicace à Izis (fig. 1), sur laquelle s’ouvre le livre, offre un bon aperçu de la manière dont le poète se sert des clichés du photographe – qu’il surnomme affectueusement « le colporteur d’images » – pour rédiger son texte. Tout semble partir de l’affiche saisie par Izis sur une palissade et qui proclame « Grand Bal du Printemps ». En la prenant comme point de départ, Prévert construit ensuite autour des planches un poème qui entraine le lecteur dans les rues de Paris, au cœur de la vie de ses habitants. Les clichés reprennent les thèmes chers aux photographes humanistes5 – la rue, les hommes dormant à terre (fig. 2 et 3), les enfants (fig. 4 et 5), la fête foraine (fig. 6) – tous motifs déjà présents dans La Banlieue de Paris et Paris des Rêves.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 6-7.

Fig. 1, Grand Bal du Printemps, p. 6-7.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 64-65.

Fig. 2, Grand Bal du Printemps, p. 64-65.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 70-71.

Fig. 3, Grand Bal du Printemps, p. 70-71.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 14-15.

Fig. 4, Grand Bal du Printemps, p. 14-15.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 86-87.

Fig. 5, Grand Bal du Printemps, p. 86-87.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 104-105.

Fig. 6, Grand Bal du Printemps, p. 104-105.

  • 6. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit, p. 20.

La mise en page très libre fait s’alterner des doubles pages où texte et image se côtoient, et d’autres qui les séparent. Le poème de Prévert est parfois interrompu par des citations d’autres auteurs (fig. 7), et à quatre reprises, sa propre écriture surgit au milieu du texte dactylographié, comme si le poète avait griffonné au dernier moment des bribes de phrases (fig. 8) ou des mots isolés (fig. 9), dans une manière d’hommage au graffiti et à la spontanéité de la rue. L’ensemble se subdivise en réalité en petits poèmes (fig. 10) dont le début est systématiquement indiqué par une majuscule en gras. Des notations diverses et de petites histoires d’une ou plusieurs pages se succèdent ainsi, accompagnées des clichés qui les ont inspirées. L’ensemble produit un effet presque « cinématographique »6 sur le lecteur, qui voit se dérouler sous ses yeux ce Grand Bal du Printemps, dans un mouvement inverse à celui de Paris des rêves, puisque menant cette fois du Paris populaire vers la splendeur des grands monuments et vers la Tour Eiffel dans les feux d’artifice.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, textes Jacques Prévert, Mouloudji, Philippe Soupault, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 136-137.

Fig. 7, Grand Bal du Printemps, p. 136-137.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 62-63.

Fig. 8, Grand Bal du Printemps, p. 62-63.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 34-35 : l’écriture manuscrite du poète mime le graffiti de l’affiche.

Fig. 9, Grand Bal du Printemps, p. 34-35.

Grand Bal du Printemps, photo Izis, texte Jacques Prévert, Lausanne, La Guilde du Livre, 1951, p. 20-21.

Fig. 10, Grand Bal du Printemps, p. 20-21.

— Christelle Michel

Notes

  • 1. Israëlis Bidermanas, dit Izis (1911-1980) voit le jour à Marijampole en Lituanie (à cette époque encore sous l’Empire Russe) où il devient apprenti photographe en 1924. En janvier 1930, il s’exile à Paris, comme de nombreux photographes de l’Est, à l’image de Brassaï ou Kertész. Il connaît la misère pendant trois ans avant de décrocher un emploi dans un studio de portraits, puis d’obtenir la gérance d’un magasin de photographie. En 1941, pour fuir les persécutions nazies, Izis part s’installer dans le Limousin avec sa femme et leur fils. Il y côtoie nombre de résistants dont il réalisera les portraits pour sa première exposition, Les Maquisards, présentée en 1944 à Limoges. A la fin de la Guerre, il retourne à Paris et se lie avec de nombreux artistes (Breton, Aragon, Prévert, Brassaï, …). Il se remarie en 1946 et ouvre en 1948 son propre studio de photographie. En 1949, lorsque Paris Match sort son premier numéro, Izis est de la partie. Il occupera pendant 20 ans le statut de grand reporter au sein du prestigieux illustré. Il se démarquera par son refus de tout sensationnalisme, préférant photographier « ce qui se passe autour de l’événement » (Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, Izis Bidermanas, Paris des Rêves, cat. expo. Izis, Paris des Rêves, Hôtel de Ville de Paris [20 janvier-29 mai 2010], Paris, Flammarion, 2009, p. 30) que l’événement lui-même. Il réalisera de nombreux portraits de personnalités artistiques, littéraires et politiques. Izis décède le 16 mai 1980 à Paris.
  • 2. Albert Mermoud, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987, p. 138.
  • 3. Marie de Thézy et Claude Nori, La photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992, p. 38.
  • 4. Albert Mermoud, op. cit., p. 140.
  • 5. Au début des années 1930, une photographie dite « humaniste » – car centrée sur l’homme – se développe en France, et plus particulièrement à Paris. L’essor de cette photographie est indissociable du contexte d’après-guerre dans lequel elle naît, période marquée par la violence du conflit encore présente dans les mémoires, et une situation économique critique (Laure Beaumont-Maillet, « Cette photographie qu’on appelle humaniste », in Laure Beaumont-Maillet et al., La Photographie humaniste, 1945-1968 : autour d’Izis, Boubat, Brassaï, Doisneau, Ronis, …, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2006, p. 12). Certains photographes ressentent alors le besoin de célébrer une image positive de l’humanité, plus légère et chaleureuse : « [La photographie humaniste] célèbre le travail, chante le bonheur simple de trancher le pain ou de se mêler aux bals populaires, montre le charme du passé sans nier pour autant les avancées de la modernité, mais elle témoigne aussi de la pauvreté et des luttes sociales. Il en émane parfois une impression de tristesse, mais le plus souvent un sentiment de bonne humeur collective, de générosité, qui contribue sans nul doute à la popularité des ses auteurs. » (Ibid., p. 13). Paris devient le terrain privilégié de ces photographes, qui y trouvent l’essence d’une image pittoresque de la France, au gré de leurs déambulations. Parmi eux, des photographes français (Robert Doisneau, Edouard Boubat, Willy Ronis,…), mais également de nombreux exilés de l’Europe de l’Est (Brassaï, André Kertész, Izis,…), pour qui la capitale française incarne un rêve de liberté.
  • 6. Manuel Bidermanas et Armelle Canitrot, op. cit., p. 20.

Bibliographie

  • Sources
  • PREVERT, Jacques et IZIS, Grand Bal du Printemps, Lausanne, La Guilde du Livre, (impression Héliographia, Lausanne, reliure Mayer & Soutter, Lausanne), 1951.
  • Littérature secondaire
  • MERMOUD, Albert, La Guilde du Livre, une histoire d’amour, entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987.
  • THEZY, Marie de et NORI, Claude, La Photographie humaniste : 1930-1960, histoire d’un mouvement en France, Paris, Contrejour, 1992.
  • BIDERMANAS, Manuel et CANITROT, Armelle, Izis Bidermanas, Paris des Rêves, cat. expo. Hôtel de Ville de Paris (20 janvier-29 mai 2010), Paris, Flammarion 2009.