Albums d’inventaires patrimoniaux

Dès les débuts de la photographie, on songe à utiliser le nouvel outil pour conserver le souvenir des monuments humains, pour les préserver du temps qui passe et les inscrire dans une mémoire immuable. En 1851, avec la Mission héliographique, le gouvernement français commande un inventaire photographique des principaux monuments du pays ; au tournant du XXe siècle, ce sont les photographes amateurs, en Angleterre notamment, qui permettront de récolter toujours plus de documents et d’élargir la notion de patrimoine national à maints monuments du quotidien.

Le mouvement atteint également le canton de Vaud. En 1893, dans son premier numéro, la Revue historique vaudoise appelle à la construction d’une histoire plus intime, fondée sur une grande diversité de documents issus de la culture populaire. Si le XIXe siècle aura développé le culte de la « grande histoire », le XXe verra ainsi naître un intérêt de plus en plus marqué pour tout objet, jusqu’au plus commun, qui puisse être témoin du passé et nous émerveiller par sa simple valeur d’ancienneté. La photographie amateur y participe : avec son développement, chacun peut mener ses propres enquêtes, dresser ses propres inventaires et écrire l’histoire en créant ses propres albums « patrimoniaux », ainsi qu’en témoigne l’album d’empreintes de fer à gaufres d’Émile Gavillet.

G.V./S.S.

La Revue historique vaudoise

Paul Maillefer, «A nos lecteurs», Revue historique vaudoise, vol. 1, n° 1, janvier 1893, p. 4-5

Paul Maillefer, «A nos lecteurs», Revue historique vaudoise, vol. 1, n° 1, janvier 1893, p. 4-5

« L’histoire des dynasties, des guerres, des batailles et des traités n’est qu’une faible partie de l’histoire. L’histoire vraiment digne de ce nom est celle qui embrasse dans leur ensemble toutes les manifestations de la vie matérielle et intellectuelle chez un individu, une famille, une communauté, un peuple. Conçue de cette manière, elle ne dédaigne aucun sujet. Les infiniment petits l’intéressent autant que les infiniment grands. La monographie d’un district, d’une commune, d’une simple propriété peut être tout aussi instructive, tout aussi captivante que le récit d’une glorieuse campagne ou la biographie d’un héros fameux.

A côté de ces articles originaux, nous publierons les documents qui nous paraîtront propres à intéresser un grand nombre de lecteurs. Les archives cantonales et communales, les collections privées, les papiers de famille contiennent des richesses inconnues ou inexplorées. Une fois ces trésors mis au jour, on verra quelles abondantes mines de renseignements nous possédons, et combien il est à la portée de chacun de faire sa petite découverte. Si minime que paraisse en elle-même une trouvaille scientifique, elle a toujours son importance. C’est la pierre ou le grain de sable qui, seuls, n’ont pas grande valeur, mais dont la réunion forme un édifice.

[…] dans la règle, nous préférerons les documents plus populaires, que chacun peut entendre sans peine, auxquels chacun peut prendre intérêt. Un mémoire de fournisseur, les comptes d’une cuisinière, un livre de ménage, le plus humble journal, la lettre la plus insignifiante deviennent, à cinquante, à cent, à deux cents ans de date, des témoins précieux d’une époque disparue. Ils en disent souvent plus long que toutes les narrations d’historiens bavards. »